Proses narratives en France au tournant du XXIe siècle

- Anne SENNHAUSER -



En contrepoint des discours critiques sur la fin de la littérature – quitémoignent d’un sentiment de crise dont le paroxysme a été atteint à la fin des années soixante-dix –, les chercheurs du CERACC (Centre d’Études sur le Roman Français des Années Cinquante au Contemporain) se sont interrogés sur le renouvellement des pratiques narratives après l’ère du soupçon, et plus particulièrement sur l’évolution de la « refondation » du récit qui a marqué le dernier quart du XXe siècle et la première décennie du XXIe siècle : le séminaire doctoral « Proses narratives en France, 2001-2010 », organisé par Bruno Blanckeman et Marc Dambre, fédère en effet depuis plusieurs années nombre de réflexions autour de la question des évolutions actuelles de la littérature narrative en France, croisant les regards de chercheurs français et étrangers, d’universitaires et de doctorants, donnant l’occasion de rencontres et de discussions stimulantes. Ce cinquième numéro des Cahiers du CERACC, « Proses narratives en France au tournant du XXIe siècle », rassemble certaines de ces interventions – présentées entre septembre 2009 et juin 2011 – dans le but de contribuer à un état des lieux littéraires français. Que ces communications soient le résultat d’analyses abouties ou qu’elles fassent état d’hypothèses de recherches encore en cours, elles ont pour intérêt de proposer tant des synthèses sur des problématiques actuelles que des nouvelles approches de la littérature contemporaine.



Les articles qui suivent posent ainsi la question des dispositifs, des imageries que met en place la prose actuelle. Quelles identités narratives se dégagent des évolutions romanesques ou autobiographiques, qui s’affranchissent des codes du récit traditionnel ? Comment les formes narratives interrogent-elles les mutations sociales, politiques, existentielles ou idéologiques qui marquent la fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle ? Certaines communications viennent confirmer une dynamique d’hybridation déjà soulignée dans de précédentes études[1] , en montrant comment le roman se nourrit d’un rapport renouvelé aux domaines propres aux sciences humaines, comment le récit de soi passe par le détour de la fiction pour redéfinir les contours de l’identité ou encore comment l’essai vient innerver les pratiques inventives propres aux genres fictionnels. Laboratoires de formes, mais aussi de savoirs, les narrations contemporaines expriment en outre les questionnements d’une société qui cherche à se définir : de nombreux articles prennent acte d’une littérature travaillée par des problématiques identitaires, morales, sociales, historiques mais aussi esthétiques. À ces divers niveaux, la littérature prend acte des crises qui traversent la société actuelle et développe elle-même diverses stratégies de résistance vis-à-vis de la marginalisation du littéraire.

Prenant en compte des oeuvres qui s’élaborent depuis la fin des années soixante-dix ou bien qui naissent au tournant du siècle, les intervenants ont eu à coeur de se pencher sur l’oeuvre d’écrivains institutionnalisés par la critique universitaire ou d’aborder des écrits dont la visibilité est encore moindre : se trouveront ainsi abordées dans le présent ouvrage des études portant sur Annie Ernaux, Pierre Michon, Pierre Bergounioux, Jean Echenoz, Éric Chevillard, François Taillandier, Patrick Deville, Jean Rolin ou encore Laure Adler. Dans un souci de dialogue et d’ouverture à une littérature vivante, le séminaire doctoral a également été l’occasion de rencontres d’auteurs : des entretiens avec Chloé Delaume, Olivier Rolin, Pascal Quignard et Yannick Haennel sont venus enrichir les discussions autour du contemporain. Trace a été gardée de ces dialogues : certains d’entre eux sont disponibles à l’écoute et peuvent être consultés pour mettre en perspective les pistes esquissées dans cet ouvrage[2]. De par cette place faite à la parole auctoriale, mais aussi de par la diversité des communications – des présentations de travaux doctoraux en cours aux conférences proférées par des chercheurs internationaux, notamment canadiens –, ce volume espère ainsi pouvoir se faire l’écho de l’effervescence et de l’émulation qui constituent la vocation même du séminaire.


Notes

[1]Voir Marc Dambre et Monique Gosselin-Noat (dir.) L’éclatement des genres au XXe siècle, Société d’étude de la littérature française du XXe siècle, Paris, Presses Sorbonne-Nouvelle, 2001.

[2] Les membres du CERACC tiennent à ce titre à remercier l’équipe de Radio-Sorbonne Nouvelle qui permet chaque année d’enregistrer certaines séances du séminaire doctoral et les met en libre écoute sur le site iSorbonne.

Introduction au Cahier du Ceracc n°5

INTRODUCTION

Anne Sennhauser est doctorante et ATER à l'université Sorbonne nouvelle-Paris 3. Elle est membre du Ceracc et ses travaux, engagés sous la direction de Marc Dambre, portent sur les "infléchissements du romanesque dans la littérature contemporaine". Elle étudie plus particulièrement les cas de Jean Echenoz, Patrick Deville et Jean Rolin.











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