Évolutions du romanesque dans la littérature contemporaine : d’une écriture ludique à une exploration de l’insolite (Jean Echenoz, Patrick Deville et Jean Rolin).

- Anne SENNHAUSER -



Mon projet de recherche s'inscrit dans le contexte des récentes mutations narratives qui ont marqué la littérature française, et se penche plus précisément sur la réévaluation problématique du romanesque à l’orée du XXIe siècle. Si l'ère du soupçon a longtemps fait peser sur le romanesque, compris comme parangon de la fiction, une forte dénonciation, cette notion semble en effet être remise à l’honneur dans la littérature actuelle. Ainsi Jean-Marie Schaeffer estime-t-il que « ce qui a longtemps été salué ou condamné comme un retour “postmoderne” à la fiction [...] semble plutôt correspondre à une réactivation de la veine romanesque [1]». Cette réactivation a été rendue sensible chez un certain nombre d’auteurs par la revendication d’une filiation romanesque : les genres du roman d’aventure, du roman policier ou encore du roman noir, pour ne citer que quelques-uns de ces modèles, ont volontiers été pris pour patron d’écriture. Cependant, cette prédilection pour un romanesque de l’aventure et de l’investigation passe chez ces mêmes auteurs par une tension entre les codes génériques du roman d’une part et une dynamique d’écriture ludique d’autre part ; l’histoire racontée, en ce sens, est peut-être moins romanesque – au sens où l’entend Jean-Marie Schaeffer, c’est-à-dire correspondant à un certains nombre de critères comme la prépondérance des passions, l’accumulation des péripéties extraordinaires [2] – que rocambolesque : quoique le registre romanesque soit décelable, l’humour en déstabilise les effets au profit d’une libération de l’insolite, de l’incongru, perçus comme modalité d’un rapport renouvelé au monde. C’est cette tension que je souhaiterais interroger, en essayant de déterminer comment le romanesque parvient à s’émanciper de ses codes narratifs – voire génériques – antérieurs.

La reprise ludique des modèles de la littérature de genre m’a d’abord intéressée en ce qu’elle faisait de la réécriture un moyen de réappropriation et de détournement des codes romanesques, au profit d’une approche de la société contemporaine. Dès les années quatre-vingts, des romans comme ceux de Jean Echenoz pouvaient ainsi allier légèreté narrative et inquiétude ontologique dans des textes où se voyait restaurée une modalité oblique de représentation du monde. Cette pratique a fait florès, chez des écrivains qui ont choisi de mettre l’expérimentation sur les codes de la narration au service du réel. Mon corpus s’est ainsi progressivement élaboré autour de cette dialectique de reprise et de détournement, par laquelle la déconstruction des codes du roman semble viser la reconduction d’une écriture transitive : les œuvres de Jean Echenoz, Patrick Deville et Jean Rolin me semblent s’inscrire dans cette problématique dans la mesure où elles naissent d’une même volonté d’« exaltation de l’écriture romanesque, dont le traitement, lui, ne pouvait plus être naïf [3] ».

La reprise ludique des modèles de la littérature de genre m’a d’abord intéressée en ce qu’elle faisait de la réécriture un moyen de réappropriation et de détournement des codes romanesques, au profit d’une approche de la société contemporaine. Dès les années quatre-vingts, des romans comme ceux de Jean Echenoz pouvaient ainsi allier légèreté narrative et inquiétude ontologique dans des textes où se voyait restaurée une modalité oblique de représentation du monde. Cette pratique a fait florès, chez des écrivains qui ont choisi de mettre l’expérimentation sur les codes de la narration au service du réel. Mon corpus s’est ainsi progressivement élaboré autour de cette dialectique de reprise et de détournement, par laquelle la déconstruction des codes du roman semble viser la reconduction d’une écriture transitive : les œuvres de Jean Echenoz, Patrick Deville et Jean Rolin me semblent s’inscrire dans cette problématique dans la mesure où elles naissent d’une même volonté d’« exaltation de l’écriture romanesque, dont le traitement, lui, ne pouvait plus être naïf [3] ».

Ces trois écrivains, parfois qualifiés d'écrivains « fin de siècle », virtuoses de l'écriture palimpseste, se sont en effet illustrés dans une expérimentation formelle mise au service de constructions nouvelles, partageant une même tentation du romanesque traditionnel et la même conscience de sa péremption : les figures et les motifs de cette catégorie – l'aventure, la course-poursuite, la mission secrète – sont vues comme un réservoir des codes à partir duquel s’instaure une dérive ludique. Jean Echenoz, dont le premier roman, Le Méridien de Greenwich [1979], a inauguré un tournant littéraire, apparaît en effet comme une figure essentielle de cette mouvance qui a fait de la réécriture ironique le moyen de satisfaire un désir de récit. Associé à une « nouvelle génération de Minuit [4] », il se distingue néanmoins d'un Jean-Philippe Toussaint par son goût de l'action foisonnante, de l’invention débridée, mais est à rapprocher par cette prédilection de Patrick Deville et de Jean Rolin qui font leurs débuts peu après lui. Patrick Deville, publié chez Minuit, puis au Seuil dans la collection « Fiction et Cie », opère dès Cordon-bleu [1987] un balayage ludique des formes de la littérature de genre, pour déployer des intrigues aussi riches et complexes que défectueuses : un périple insolite en voiture dans Le feu d’artifice [1992], où l’action avance au gré des caprices d’une héroïne fantasque, un huis-clos sur une île déserte dans Ces deux-là [2000] où le chassé-croisé de trois couples conjugue les stéréotypes de la romance pour les mettre à distance. Tout comme Jean Echenoz, il privilégie la production imaginante pour mettre la convocation de toute une généalogie mythique de l’aventure au service la narration. Bien que principalement connu pour ses enquêtes de terrain (citons entre autres Zones, [1995], Chrétiens [2003], L’Homme qui a vu l’ours [2006] qui sont des récits élaborés à partir de reportages), Jean Rolin est aussi entré en littérature par la voie de la fiction débridée. Ses premiers romans, publiés chez Lattès et Gallimard, avant que l’auteur ne passe aux éditions P.O.L, sont empreints d’une tonalité fantasque : des récits jubilatoires (de L'Or du scaphandrier [1983] à Cyrille et méthode [1994] en passant par La Frontière belge [1989]) jouent sur l'imaginaire du voyage, de la découverte, de la traversée maritime, pour dire les tribulations aventureuses d’un narrateur confronté à des rencontres imprévues.

Cette pratique rend explicite la dimension arbitraire de la création romanesque, dont il s’agit ici de se jouer au profit d’une histoire invraisemblable. Toutefois, les modèles littéraires ne sont pas simplement subvertis : au-delà de la reprise parodique, dont les auteurs ont tenu à se défaire au profit d’une déconstruction plus complexe, les registres de l’aventure et de l’investigation travaillent en profondeur des œuvres qui intériorisent certaines thématiques, certains motifs ou dispositifs romanesques, alors que le roman est mis à distance de manière de plus en plus marquée. Les évolutions récentes des trois œuvres montrent en effet que, sans cesser de jouer avec les codes de la fiction, les auteurs interrogent de manière insistante la tentation héroïque et ses effets, explorent le « vaste monde », pour reprendre l’expression du critique littéraire Norbert Czarny [5], ou investissent des aspects insolites de la mémoire collective. En effet, Jean Echenoz retrace la vie de figures historiques dans des fictions biographiques, ou « vies rêvées [6] », qui convoquent des profils atypiques de la musique, du sport ou des sciences (Ravel [2006] ; Courir [2008] ; Des Éclairs [2010])[7] ; de même, l’approche de deux cents ans d’histoire et de révolutions chez Patrick Deville passe par une enquête in situ sur la vie des grands explorateurs des XIXe et XXe siècle (Pura vida, vie et mort de William Walker [2004] ; Equatoria [2009] ; Kampuchéa [2011]) [8] ; enfin, les récits les plus incongrus de Jean Rolin reviennent sur la seconde moitié du XXe siècle ou s’arrêtent sur les premières années du XXIe siècle, mêlant une pratique rodée du reportage et une dimension romanesque (L’Organisation [1996], La clôture [2002], L’Explosion de la durite [2007], Le Ravissement de Britney Spears [2011]) [9]. Dans ces récits où l’héritage est fragmenté, le dispositif de l’aventure est réactualisé dans l’ombre du roman, voire hors de ses limites génériques, pour proposer, selon des stratégies différentes, la reconduction d’un romanesque compris comme exploration de l’insolite, comme construction déstabilisant les cadres de perception.

Cette pratique semble faire écho à la réévaluation théorique du romanesque qui s’est opéré dans la critique à la fin du XXe siècle. Dans le cadre de la revalorisation de la fiction [10], la notion de « romanesque » a en effet été repensée par de nombreuses études, qui se sont attachées à distinguer un romanesque compris comme ensemble de codes ou de motifs stéréotypés – ceux des aventures héroïques et sentimentales – et un romanesque conçu comme un élan dynamique instaurant dans l'écriture « une tension féconde entre désir, fiction et réalité [11], » selon les mots d’Anne Spiquel. Cette conception d’un romanesque « tensif » apparaît avec force dans les analyses du dernier Roland Barthes, qui entérine un romanesque défini comme « mode de discours qui n'est pas structuré selon une histoire, [...] mode de notation, d'investissement, d'intérêt au réel quotidien, aux personnes, à tout ce qui se passe dans la vie » ou encore comme « erratique de la vie quotidienne, de ses passions, de ses scènes [12]». Dans cette optique, le romanesque ne se comprend pas en termes de mensonge ou de vérité, puisque ces notions sont précisément évacuées, mais comme le signe d’un désir qui se mesure par son intensité et son acuité, proche du « punctum » que Barthes définit dans La chambre claire comme « ce qui advient » hors de toute attente, et qui, dans le cadre du récit, opèrerait une suspension de la logique et du sens. C’est semble-t-il dans cette même perspective que Dominique Rabaté fait de la rupture de la logique rationnelle et déterministe l’une des lois du romanesque : le romanesque correspondrait en ce sens à l’« ébauche d'un développement possible que le texte casse, là où le roman aurait cherché à saturer les causalités, aurait refait du déterminisme [13] ».

L’interrogation qui organisera ma réflexion sera ainsi la suivante : comment la filiation générique travaille-t-elle les formes narratives pour reconduire un romanesque renouvelé ? Loin de se limiter à un support que le récit viendrait évider, pour faire ressortir la vacuité des représentations au profit de la seule réflexion sur le langage, cette filiation vient en effet infléchir l’identité narrative des textes, donner forme à une expérience du réel et redéfinir une esthétique de l’insolite qui est aussi éthique de la singularité. Il ne s’ agit certes pas d’ aplanir les particularités irréductibles des trois auteurs, et on peut voir dans la narration jubilatoire d’Echenoz, les voyages hallucinatoires de Deville et le pointillisme descriptif de Rolin trois stratégies d’écriture divergentes : il me semble pourtant possible de rassembler ces trois auteurs sous l’égide d’une pratique illusionniste, où l’aventure, sans être seulement pastichée, prend une dimension tantôt critique, tantôt métaphorique, pour interroger le monde dans ses marges comme dans ses incomplétudes.

Un romanesque illusionniste : l’appel du jeu.

Le premier axe de recherche de mon travail consiste en une analyse des stratégies narratives des trois auteurs, qui convoquent les modèles romanesques pour en contester la structure à travers une narration fantaisiste. Malgré une tentation affichée du romanesque, les récits soulignent par le jeu et le détachement les limites de la fiction, tant du point de vue de la filiation générique, de la composition narrative que de la posture énonciative.

Le romanesque désuet des aventures héroïques, du suspens policier, de l’idylle amoureuse, apparaît chez les trois auteurs non pas comme modèle de l’écriture mais comme réservoir de codes ou « bassin mémoriel et mythique [14] », selon l’expression de René Audet, que les auteurs, en adeptes de la récupération, gardent à leur disposition pour nourrir le récit. Tout comme, chez Jean Echenoz, le pianiste Max se promène dans le parc Monceau, au milieu des « statues des grands hommes [15] », les narrations se déploient sous l’égide de monuments littéraires qui, loin de constituer un surmoi sclérosant, engagent l’écriture en stimulant l’imagination et en suscitant la réflexion. L’hybridité générique est ainsi particulièrement marquée : la multiplicité des renvois intertextuels rattache l’intrigue à des modèles variés. Jean Echenoz, après une exploration des genres de la littérature d’action, passe en revue les modalités du récit de vie : plus que la réécriture de romans de genre, c’est le mélange des codes qui semble prévaloir, comme en témoigne la multiplicité des références littéraires qui ponctuent ses récits. L’intrigue chez Jean Rolin, aussi minimale soit-elle parfois, renvoie volontiers à une « tradition connue du roman d’espionnage [16] » qui n’est pas pleinement investie, mais donne aux déambulations du narrateur les allures d’une mission secrète, quoique les références autobiographiques superposent les instances narratoriale et auctoriale. Soupçonné d’espionnage dans L’Organisation, L’Explosion de la durite, ou Le Ravissement de Britney Spears, il projette en outre de raconter « l’histoire de [s]a vie et de [s]a mort héroïque [17] ». L’intrigue romanesque et ses constituants les plus attendus s’estompent dans les derniers romans de Patrick Deville, qui mêlent les modèles du récit de vie à ceux de l’aventure. C’est une enquête historique que nous propose le narrateur, dont le projet de « déployer la geste chevaleresque [18] » des aventuriers du XIXe siècle génère une multitude de récits parallèles : les trajectoires se développent, se croisent, au gré des récits de bataille, comme pour reconstituer une histoire fantasmée. Les récits semblent ainsi naître d’une prédilection pour les noms merveilleux, pour les figures excentriques aux vies désordonnées, pour les lieux qui stimulent l’imaginaire – comme le New York du rêve américain chez Jean Echenoz, le Los Angeles de la production cinématographique chez Jean Rolin, les terrae incognitae des explorations coloniales chez Patrick Deville, territoires qui apparaissent comme lieux de tous les possibles.

Loin de chercher à réduire cette impression d’extravagance, les auteurs choisissent plutôt d’exhiber les dérives de l’imagination, qui marquent la composition narrative. Ils multiplient les marqueurs de fictionnalité et donnent au récit lui-même une tournure artificielle en soulignant son incongruité, en multipliant les décalages, les outrances ou les insuffisances. La modalité du décalage repose sur la multiplication des écarts entre les attentes liées au pacte de lecture réaliste et l’invraisemblance plus ou moins prononcée de la diégèse. Cette invraisemblance passe par une insistance marquée sur les bizarreries des personnages, une focalisation sur leurs étrangetés. Le détail singulier – la chasse aux papillons dans Kampuchéa, la pêche aux grenouilles dans L’Organisation, l’élevage des pigeons dans Des Éclairs – transforment l’explorateur, le révolutionnaire ou l’inventeur en des personnages fantasques, loin du sérieux de leurs préoccupations scientifiques ou idéologiques. La modalité de l’outrance – cette « tendance à l’exagération » que Jean Rolin annonce dès les premières lignes de son Ravissement [19] – tend à rendre improbables les trajectoires narratives par la multiplication des hasards, des rebondissements incongrus, recourant avec excès aux motifs de l’aventure : c’est le cas des récits de vie de Patrick Deville qui accentuent les coïncidences et les rebondissements dans leur reconstitution de l’histoire, où « la folie de tous les possibles historiques » empêche pleinement le déploiement du récit héroïque. Au lieu d’ancrer la dynamique narrative dans une logique vraisemblable, cette modalité exacerbe l’arbitraire des données spatio-temporelles ou actancielles, fait ressortir les dérives emphatiques de l’imagination. Enfin, la modalité de l’insuffisance passe par le refus désinvolte de la part du narrateur de fournir toutes les explications nécessaires à la saisie du récit. Favorisant les allusions, les explications abruptes, les ellipses narratives, cette modalité déstabilise la saisie des événements, des comportements rapportés. Jean Echenoz aime à présenter sous l’apparence de la logique des événements sans lien de causalité : ainsi l’explication abrupte de la vocation de Gregor – Nicolas Tesla – pour les sciences tourne-t-elle en dérision les conventions de la biographie qui fait de l’enfance la matrice déterministe de toute une destinée :

[Le moment exact de sa naissance], Gregor ne le connaîtra jamais, qui est né entre vingt- trois heures et une heure du matin. Minuit pile ou peu avant, peu après, on ne sera pas en mesure de le lui dire. De sorte qu’il ignorera toute sa vie quel jour, veille ou lendemain, il aura le droit de fêter son anniversaire. De cette question du temps pourtant si partagée, il fera donc une première affaire personnelle [20].

Le jeu sur les codes de la fiction déstabilise les contours et les visées de l’intrigue, tout en renouvelant un pacte de lecture fondé sur la connivence entre le lecteur et le narrateur. L’omniprésence des marques de l’énonciation, la multiplication des intrusions ludiques ou méditatives du narrateur, ne déconstruisent pas la tension constitutive du récit mais en déplacent les enjeux. La voix narrative, tout en mettant à mal la vraisemblance de son récit, se prévaut en effet d’un recul qui lui permet de souligner la vanité des représentations romanesques. Le détachement ludique de certains romans – qui déploient un « discours de l’évidence [21] », selon l’expression de Francis Langevin, pour fonder une autorité en réalité polémique – devient parfois détachement méditatif – où le narrateur en retrait de la fiction s’interroge sur « le spectacle du monde [22] ». Les narrateurs adoptent de la sorte des attitudes d’illusionnistes – de la figure du prestidigitateur chez Jean Echenoz à celle du « Monsieur Loyal » chez Patrick Deville ou celle du simulateur chez Jean Rolin –, suscitant un spectacle pour le désamorcer. Jean Echenoz joue sur la mobilité décentrée des points de vue dans des récits présentés tantôt comme des fictions explorant les possibles de la destinée, tantôt comme des représentations arbitraires. Patrick Deville a conscience de s’attaquer au « grand music hall de l’histoire [23] », et l’atmosphère onirique qui caractérise ses récits brouille les frontières entre le vrai et le faux : scènes rêvées ou scènes réelles semblent se substituer les unes aux autres de manière réversible. De fait, le narrateur aime à montrer la porosité de la frontière entre ces deux domaines quand l’Histoire prend les formes de la fiction ou que la fiction se substitue à l’Histoire. À travers des personnages aux destins prométhéens, mus par la tentation de l’héroïsme, il souligne la réversibilité de la réalité et du mensonge, puisque, comme le rappelle Malraux cité en épigraphe, « [t]out aventurier est né d’un mythomane [24] ». La complicité entre l’auteur et le narrateur passe moins par la «suspension volontaire de l’incrédulité», pour reprendre l’expression de Coleridge, que par une complicité dans la contemplation du jeu illusionniste des apparences.

La distorsion de l’aventure : la question du sens.

Tout en jouant sur l’illusion référentielle et en exhibant les pouvoirs de la fiction, les trois auteurs posent la question du sens de l’existence à travers la distorsion de l’archétype de l’aventure [25]. Le registre romanesque acquiert une fonction critique, dans la mesure où il sert de contrepoint permanent au récit. Loin des utopies existentielles charriées par l’histoire, les trajectoires se voient ainsi confrontées à une perte généralisée de sens et l’aventure se redéfinit sur le mode de l’ errance pour poser en creux la question du malaise ontologique et de sa représentation.

L’errance des personnages ou des narrateurs homodiégétiques apparaît comme la manifestation minorée de l’aventure héroïque : la convocation des modèles prend dès lors la forme d’un contrepoint qui met en perspective l’échec, la perte. L’extraordinaire s’efface devant l’ordinaire, l’exploit devant le sentiment brut de l’existence, le héros devant la banalité. Les parallèles entre le mythe et le réel permettent en effet de mettre en sourdine les ingrédients caractéristiques du registre romanesque – dimension spectaculaire de la diégèse, importance des affects, stabilité des repères axiologiques, dépaysement merveilleux – pour dire un parcours dépourvu de signification exemplaire. Dans ses récits de vie, Jean Echenoz montre ainsi l’envers du mythe de la création, chez des personnages d’où émane une solitude existentielle. L’absence de plénitude apparaît comme une faille omniprésente dans la peinture du sujet, et caractérise moins l’envers de la gloire que celui de l’existence. Chez Jean Rolin, les aventures minorées du narrateur homodiégétique témoignent également d’un sentiment de perte : l’auteur préfère d’ailleurs parler de « voyages de dé-formation [26] » pour désigner des trajectoires chaotiques en proie aux vicissitudes de l’histoire récente, où la quête initiale devient dérive urbaine ou maritime, où l’observation vient remplacer l’action. C’est ainsi que dans L’Explosion de la durite, le voyage du narrateur à Kinshasa, sur les traces de Joseph Conrad dont la remontée du fleuve Congo est convoquée en toile de fond, devient expérience de l’absurdité administrative ou de la violence sociale. Chez Patrick Deville, le récit historique des vies héroïques se heurte aux incertitudes de la quête au présent, à ses errances, ses impasses. La narration se focalise sur les déambulations géographiques – et temporelles – du narrateur, qui consigne des faits, des témoignages, des rencontres. Par ce travail de recherche empirique, la généalogie aventureuse des explorateurs des XIXe et XXe siècles – immortalisée à travers le couple de l’ange et du démon – est perçue dans son ambiguïté fondamentale.

L’errance se répercute au niveau de la construction narrative, dans la mesure où la progression de l’action est mise à distance au profit d’une lente dérive, qui fait prévaloir l’attention à l’espace, les notations marginales : les territoires traversés, les constructions architecturales, et toutes sortes de détails concrets, éphémères, comme ramassés au hasard de la déambulation, émergent au fur et à mesure des digressions narratives. La notion de « romanesque de la notation [27] », mise en avant par Dominique Viart pour caractériser la pratique notative désinvolte de Jean Echenoz, illustre bien ce processus d’ approche fragmentaire du réel, que l’ on retrouve également dans les œuvres de Jean Rolin, sur un mode pointilliste, ou de Patrick Deville, sur un mode méditatif. Les traits comportementaux, les détails vestimentaires ou les considérations climatologiques, épinglés par le récit, apparaissent comme les signes tangibles d’un malaise plus profond. Face à la vacuité des constituants premiers du récit, ces détails se chargent en effet de sens en ce qu’ils deviennent les signes métonymiques d’une réalité plus vaste. Jean Echenoz dit l’intériorité par l’extériorité (ainsi l’identité passe par les détails vestimentaires, le rapport à soi par le rapport à l’environnement) ; Patrick Deville désigne le tout par la partie (le récit historique se dit par l’entrecroisement chaotique de trajectoires individuelles) ; Jean Rolin pense le centre par les marges (la société contemporaine se comprend en fonction des éléments qu’elle relègue à sa marge, hors des pôles urbains, hors de l’espace médiatique). De la sorte, les éléments les plus accessoires ou les plus infimes renvoient à une toile de fond historique, géographique, sociopolitique ou ontologique. Le détail devient le signe tangible de dynamiques de civilisation, de mutations insensibles, étant compris dans le cadre d’un basculement culturel, idéologique, qui semble entériner, chez les trois auteurs, un affaiblissement du lien au monde.

L’effacement du sujet – de son intériorité face à l’objet, de sa singularité face à l’uniformisation – trouve une caisse de résonnance dans les marges de la narration. La figuration d’un désarroi ontologique apparaît ainsi de manière oblique, par le détour de l’intertexte romanesque auquel est donné un sens nouveau. La dynamique métonymique se double en effet d’une dynamique analogique, qui exprime par exemple la violence sociale par le recours au mythe. La lutte existentielle, chez Jean Echenoz, s’exprime par une réintroduction du sème de l’aventure qui dit le malaise des protagonistes : lutte contre les éléments, lutte contre l’histoire, contre l’insomnie ou contre la fatigue, appellent dans les récits une imagerie de la catastrophe ou du combat épique. La rupture avec le monde social passe ainsi à travers le trouble des personnages, qui entrent dans une salle de restaurant comme on entre en guerre. Chez Patrick Deville, l’isotopie de l’aventure vient dire une lutte contre le trop plein ou le défaut de mémoire. L’entreprise narrative, aux prises avec ces deux pôles, se comprend dès lors comme une exploration périlleuse que vient souligner la comparaison sous l’égide de laquelle se placent ces derniers romans. Ainsi le narrateur de Pura Vida souligne-t-il :

Il ne m'échappait pourtant pas, à la présenter ainsi, qu'une entreprise d'aussi vaste envergure devait de loin excéder les modestes forces à ma disposition, et que les précipiter dans une telle aventure équivaudrait à lancer une poignée d'Indiens à l'assaut des tuniques bleues en terrain découvert, ou une poignée de mercenaires au-devant de l'armée hondurienne [28].

Ce même processus analogique se retrouve chez Jean Rolin, dans la construction narrative de La Clôture par exemple, qui met en parallèle la geste militaire du Maréchal Ney et la vie contemporaine dans les banlieues, où la violence règne de manière sourde et omniprésente. Ce rapprochement va jusqu’à la superposition des espaces de la ville avec ceux du champ de bataille : cette vision spectrale des marges urbaines donne une profondeur renouvelée à la vie quotidienne en prise avec des formes nouvelles de violence – telles que l’exclusion, la dissolution des liens communautaires. Parfois tentée par l’évocation mythique – qui apparaît chez Jean Rolin à travers la convocation de figures mythologiques –, l’imagerie charriée dans les marges de la narration dit ainsi une tentation de l’héroïsme au quotidien, ajustée à la sensibilité contemporaine comme à ses réalités sociales et ontologiques.

Une éthique de la singularite

Mon troisième axe de recherche se penchera dès lors sur les postures éthiques des trois écrivains qui, face aux vicissitudes historiques et sociales, cherchent à redéfinir les pouvoirs de la narration, non seulement comme quête, mais aussi comme sauvegarde de la nuance : les auteurs exploitent en effet une tension romanesque fondée sur la disjonction, la rupture, le singulier. Cette « éthique de la singularité » semble passer par une volonté d’isoler le détail insignifiant, de désancrer l’instant, pour dire une forme de gratuité irréductible de l’être. C’est dans cette valeur donnée à la gratuité que semble se redéfinir une exaltation possible du romanesque.

La promotion de l’adventice est l’une des premières marques de cet investissement du réel, dans la mesure où les auteurs exploitent les potentialités de la bizarrerie et de la contingence. Leurs récits marquent en effet une prédilection particulière pour les failles de la représentation, pour les éléments qui ne s’inscrivent pas dans un réseau de causalité mais font plutôt dysfonctionner le système qui les accueille. Patrick Deville voit cet intérêt comme une sauvegarde qui doit guider l’écriture, entretenant l’espoir que « de tout cela qu’est une vie demeure un détail, un polaroïd [29] ». Jean Rolin s’attache lui aussi davantage aux bizarreries des êtres et des lieux, hostile aux formes idéologiques qui dissolvent la singularité « dans la masse », pour reprendre une expression récurrente dans L’Organisation. Cette sauvegarde de l’individualité se retrouve chez Jean Echenoz sous forme de lutte contre l’aliénation : Émile, dans Courir fait ainsi de sa bizarrerie, cette « manière de courir impossible [30] », un moyen de résister au totalitarisme politique.

L’attention au singulier s’accompagne de la suspension ponctuelle de la dimension explicative de la narration, quand l’écriture s’attache à générer un instantané hors de toute causalité : la multiplication des coïncidences insignifiantes vis-à-vis de l’intrigue ou de l’histoire est soulignée par des ellipses ou des disjonctions spatio-temporelles. Les trois auteurs multiplient les notations annexes qui ne renvoient ni à l’intrigue, ni à une toile de fond sociale ou historique, en soulignant par exemple la proximité dans l’espace ou dans le temps de deux trajectoires ou de deux univers indépendants. Un exemple extrait de l’œuvre de Jean Echenoz illustre cette pratique de manière significative : les univers de Conrad, Faulkner et Ravel se croisent de en toute gratuité dans le roman éponyme. Comme le précise l’auteur, fasciné par l’imbrication des trajectoires, « Faulkner commence à publier au moment où Ravel est au cœur de son œuvre et où Conrad, dont il était un grand lecteur, vient d’achever la sienne [31] ». Cette coïncidence qui se traduit dans le roman par des juxtapositions inattendues, ne vaut que pour elle-même, soulignant la simultanéité d’univers distincts. Le récit passe ainsi de la description de Ravel à celle de Faulkner soulignant sous les faux airs de la conséquence un rapprochement hasardeux qui demeurera à l’état d’ébauche :

[...] un mètre soixante et un, quarante-cinq kilogrammes et soixante-seize centimètres de périmètre thoracique, Ravel a le format d’un jockey, donc de William Faulkner qui, au même moment, partage sa vie entre deux villes – Oxford, Mississipi et la Nouvelle Orléans –, deux livres, Mosquitoes et Sartoris – et deux whiskeys – Jack Daniel’s et Jack Daniel’s [32].

Par cette ouverture inexploitée à un autre univers, le roman restitue une forme d’immédiateté, de co-présence, qui échappe à la progression cumulative du récit.

Ce seront dès lors les effets de cette échappée – sentiment d’absurdité, exaltation de la présence, éloge de l’instant – qu’il me restera à analyser, au regard d’une entreprise de restitution singulière de la contingence.

Par diverses approches du narratif, les trois auteurs s’attachent ainsi à retrouver le sens du romanesque au-delà de ces « aimables ou terrifiants récits d’aventures à conclusions optimistes ou désespérées, et aux titres annonciateurs de vérités révélées » déjà stigmatisées par les nouveaux romanciers et exploités chez eux à des fins ludiques [33]. En faisant de la filiation romanesque un moyen de renouveler le pacte de lecture, ils en déplacent les enjeux sur la représentation d’un quotidien fragmenté, issu d’une déconstruction des utopies existentielles fondatrices de la modernité. La filiation romanesque vient nourrir l’expressivité oblique de la narration, donner une profondeur aux individus et à l’espace dans l’optique d’une quête de signification. Mais c’est peut-être quand cette quête se heurte à l’échappée du sens que le romanesque prend toute sa force, en tant que suspension de la causalité et sauvegarde de la nuance. En approfondissant et en affinant des analyses qui sont encore incomplètes, j’espère dès lors pouvoir montrer que la redéfinition du romanesque a ici une fonction éthique et esthétique, dans la mesure où elle se comprend comme la mise à mal des systèmes dogmatiques, fondés sur une vision rationaliste, et qu’elle souligne cette erratique du quotidien qui met en échec la représentation.


NOTES

[1] Jean-Marie Schaeffer, « La catégorie romanesque », dans Gilles Declercq et Michel Murat (dir.), Le romanesque, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004, p. 295.

[2] Jean-Marie Schaeffer, op.cit., p. 291-302. Dans cet article, Jean-Marie Schaeffer définit la catégorie romanesque comme un type de modélisation axiologique du réel reposant sur quatre critères : l’« importance accordée, dans la chaîne causale de la diégèse, au domaine des affects, des passions et des sentiments ainsi qu'à leurs modes de manifestation les plus absolus et extrêmes », « la représentation des typologies actancielles, physiques et morales par leurs extrêmes, du côté du pôle positif comme du côté du pôle négatif », « la saturation événementielle de la diégèse et son extensibilité indéfinie » et « la particularité mimétique du romanesque, à savoir le fait qu'il se présente en général comme un contre-modèle de la réalité dans laquelle vit le lecteur ».

[3]Jean Echenoz, « Il se passe quelque chose avec le jazz », propos recueillis par Olivier Bessard-Banquy, Europe, , n° 820-821, août-sept 1997, p. 194.

[4] Fieke Schoots, L’écriture minimaliste de Minuit : Echenoz, Deville, Toussaint, Redonnet, Amstersam – Atlanta, Rodopi, 1997.

[5] Une parenté de l’exploration a été relevée par Norbert Czarny dans un article consacré à Jean Rolin : « Aux Cassandres qui gémissent sur la mort du roman français, on a envie de tendre les textes de Deville comme Pura Vida, le Je m’en vais d’Echenoz [...] ou cette Explosion de la durite , pour montrer que tous ces écrivains ne vivent pas confinés dans un arrondissement parisien, que s’ils parlent d’eux, ils n’oublient pas le vaste monde et ne cessent de l’explorer ». Voir Norbert Czarny, « Se perdre pour mieux s’y retrouver », La Quinzaine littéraire, 16 février 2007.

[6] Cette expression est utilisée par Blanche Cerquiglini dans son article « Des vies rêvées » (Critique, n°767, avril 2011, p. 293-304).

[7] Éditions de référence : Ravel, Paris, Minuit, 2006 ; Courir, Paris, Minuit, 2008 ; Des Éclairs, Paris, Minuit, 2010.

[8] Éditions de référence : Pura vida, vie et mort de William Walker, Paris, Seuil, 2004 ; Equatoria, Paris, Seuil, 2009 ; Kampuchéa, Paris, Seuil, 2011. Nous pouvons inclure dans cette tendance La tentation des armes à feu (Paris, Seuil, 2006), récit à dimension autobiographique qui déploie parallèlement à une déambulation d’Amérique du Sud en Asie mineure une réflexion sur l’héroïsme.

[9] Éditions de référence : L’Organisation, Paris, Gallimard, 1996 ; La Clôture, Paris, P.O.L, 2002 ; L’Explosion de la durite, Paris, P.O.L., 2007 ; Le Ravissement de Britney Spears, Paris, P.O.L, 2011. J’inclue dans mon corpus le récit intitulé L’Explosion de la durite, bien que la mention générique de « roman » ne figure dans le péritexte : la structure narrative de l’intrigue semble assez forte pour créer une ambiguïté générique entretenue par le narrateur.

[10] Voir par exemple les études de Jean-Marie Schaeffer (Pourquoi la fiction, Paris, Seuil, 1999), de Marc Petit (Éloge de la fiction, Paris, Fayard, 1999) et de Thomas Pavel (L’Univers de la fiction, Paris, Seuil, 1988 ; La pensée du roman, Paris, Gallimard, 2003).

[11] Agnès Spiquel, « Avant-propos », dans Agnès Spiquel (dir.), Victor Hugo et le romanesque, Paris/Caen, Lettres modernes Minard, 2005, p. 5-7.

[12] Roland Barthes, « Vingt mots clés pour Roland Barthes », dans Œuvres complètes, tome IV, Paris, Seuil, 2002, p. 866.

[13] Dominique Rabaté, « Vies imaginaires et vies minuscules », dans Christian Berg, Yves Vadé, (dir), Marcel Schwob, d'hier et d'aujourd'hui, Paris, Champ Vallon, 2002, p. 177- 191.

[14] René Audet, « Raconter ou fabuler la littérature ? Représentation et imaginaire littéraires dans le roman contemporaine », dans Barbara Havercroft, Pascal Michelucci, Pascal Riendeau (dir.), Le roman français de l'extrême contemporain. Écritures, engagements, énonciation, Québec, Éditions Nota Bene, 2010, p. 183-202.

[15] Jean Echenoz, Au piano, p. 12.

[16] Jean Rolin, L’Explosion de la durite, p.75.

[17] Ibid., p. 221.

[18] Patrick Deville, Pura Vida, p. 137.

[19] Jean Rolin, Le Ravissement de Britney Spears, p. 7.

[20] Jean Echenoz, Des Éclairs, p. 8.

[21] Francis Langevin, « La connivence construite par le discours de l’évidence. Attitude du narrateur et vraisemblance chez Patrick Lapeyre et Jean Echenoz », dans Temps zéro. Revue d’étude des écritures contemporaines, n°2, 2010.

[22] Patrick Deville, Pura Vida, p. 214.

[23] Patrick Deville, ibid., p. 13 ; Kampuchéa, p. 49.

[24] Patrick Deville, Kampuchéa, p. 118.

[25] Dans Anatomie de la critique, Northrop Frye fait de l’aventure, qu’il nomme aussi « quête », la structure fondatrice du romanesque, défini en fonction de son contenu : « Dans le romanesque, l’aventure constitue l’élément essentiel du sujet, ce qui signifie que la forme s’appuie naturellement sur une séquence d’événements », Anatomie de la critique (1957), Gallimard, 1969, p. 227.

[26] Marion Van Rentreghem, « Jean Rolin, la lente dérive des digressions », Le Monde, 7 mai 1999.

[27] Dominique Viart, « Jean Echenoz, réflexion dans les marges », Revue 21e siècle. Littérature et société, n° 17, automne-hiver 2010, p. 132-144.

[28] Patrick Deville, Pura Vida, p. 174.

[29] Ibid., p. 216.

[30] Jean Echenoz, Courir, p. 46.

[31] Philippe Barrot, « Ravel, plutôt distant et secret. Entretien avec Jean Echenoz », La Quinzaine littéraire, n°915, 16 janvier 2006.

[32] Jean Echenoz, Ravel, p. 22.

[33] Claude Simon, Discours de Stockholm, Minuit, Paris, 1986, p. 15.


Comment des œuvres emblématiques d’un certain postmodernisme littéraire dépassent-elles le jeu virtuose sur les conventions narratives pour redéfinir le romanesque ? C’est sur cette question que se penche Anne Sennhauser à travers l’étude de trois auteurs iconoclastes ; mettant à distance le roman traditionnel, Jean Echenoz, Patrick Deville et Jean Rolin s’attachent à générer un romanesque illusionniste pour dire des aventures sur un mode mineur, non pas à partir d’une tension diégétique, sans cesse désamorcée, mais par la multiplication des notations marginales, en prise sur une réalité insolite. Cette évolution du paradigme de « romanesque » dans la pensée des trois auteurs entraîne un questionnement d’ordre éthique : qu’en est-il de la représentation du singulier, du contingent, dans un monde où la répétition, la globalisation, mais aussi la multiplication des représentations médiatiques, amène à aplatir et homogénéiser le réel ?

Un romanesque illusionniste : l’appel du jeu.
La distorsion de l’aventure : la question du sens.
Une éthique de la singularite

Anne Sennhauser, ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Lyon et agrégée de lettres modernes, prépare une thèse sur l’évolution du romanesque dans la littérature contemporaine (Jean Echenoz, Patrick Deville, Jean Rolin), sous la direction de Marc Dambre. Depuis 2009, elle exerce les fonctions de doctorante contractuelle à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3.











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