Devenirs critiques de Jean-Pierre Richard

- Cécile RAULET -



À travers le contact avec une œuvre, le critique découvre ou retrouve charnellement quelque chose de lui, et plus précisément de son expérience du monde. Tout se passe comme si chaque écrit critique de Jean-Pierre Richard participait à étayer un propos sur le sensible – nous enseignant par là un mode de sensibilité que seule l’œuvre, considérée comme construction d’un rapport au monde, permet d’appréhender. Être au monde pour Richard, c’est donc vivre l’expérience offerte par l’œuvre, et indissolublement la mêler à son compte-rendu, subjectif et travaillé (car cette expérience est aussi de lecture, et il s’agit d’en faire le récit). Le style de Jean-Pierre Richard – celui de son écriture mais aussi de sa déambulation à travers l’œuvre d’un auteur – dit quelque chose de lui, « marque la présence d’une voix [1] ». Traiter de ces « style » ou « présence d’une voix » équivaudrait dans le cas précis de Richard, à décrire son ethos, dans la mesure où ce que l’on peut percevoir de l’attitude de ce critique vis-à-vis des œuvres littéraires passe par une démarche et une écriture particulières – relevant à la fois de l’idiosyncrasique et de partis pris intellectuels : voir Richard évoluer parmi les textes, c’est assister à l’épiphanie d’une singularité critique.

Parler de « devenirs de l’homme de lettres » est heureux concernant la critique richardienne tant celle-ci est dynamique : elle évolue parmi les œuvres, et au milieu de ce que Richard nomme le paysage d’un auteur ; le sujet-critique évolue lui-même, au fur et à mesure qu’il construit littérairement son rapport au monde. Enfin, parce que cette vie par le truchement des textes interroge ce que c’est qu’écrire, on peut voir dans l’œuvre de Richard un devenir-critique qui est également un devenir-écrivain.


Ethos de Jean-Pierre Richard : récit, description et partage d’une expérience (critique)


Je prendrai la notion d’ethos dans une définition restreinte – l’image-de-soi du critique émanant de son propre discours – mais en considérant que le champ de ses manifestations est fort large, qui s’étend de marques linguistiques à des choix intellectuels orientant ce discours, et par là, l’image de celui qui l’émet.

Considérons ainsi les textes du professeur-critique Richard, dont l’ethos est à la fois soumis à des normes et porteur de marques évidentes de subjectivité. Le récit de type universitaire de l’expérience intérieure d’une œuvre se doit de prendre une forme apparemment dégagée ; mais tandis que l’utilisation du je me semble être didactique, renvoyant abstraitement au sujet générique d’une expérience (comme décrite par un philosophe), l’usage du nous académique participe de l’efficacité du propos, puisqu’il permet une communauté d’expérience sensible – celle de sujets définis : Richard, le lecteur.

Quant à considérer une échelle macrotextuelle, le choix même de l’objet littéraire investi est le premier des gestes critiques : ce choix dit déjà quelque chose du rapport du critique à la littérature en même temps que l’œuvre décide en partie de l’attitude du critique à son égard (de la manière dont il la traite et en traite). Il s’est ainsi opéré dans les années 1984-1985 un tournant dans l’œuvre critique de Richard : lorsqu’il quitte l’enseignement, l’attention du critique se tourne vers des auteurs contemporains, précisément parce qu’il ne s’agit pas d’objets de cours universitaires.

Jean-Pierre Richard lui-même témoigne : ce choix des auteurs fut alors présidé par

l’idée de rester au contact d’une certaine fraîcheur d’invention, d’être en somme de mon époque, de ne pas trop vieillir. Et en même temps de servir un peu d’introducteur de ces jeunes romanciers vers le grand public. Donc je me donnai tous les beaux rôles à la fois [2].

Il s’agit ici d’un regard porté sur soi a posteriori, et en dehors de l’activité critique elle-même, mais il a justement pour intérêt de montrer combien ce choix de l’objet commenté peut véhiculer une conception particulière du rôle du critique (son ethos pris comme résultat d’un métadiscours), marqué désormais à la fois par une liberté plus grande et une responsabilité autre, la transmission d’un savoir de nature différente (et, peut-être, à un public d’une autre nature). Ce discours s’avère par ailleurs intéressant dans la mesure où, parce qu’il énonce une légère rupture d’orientation et d’attitude critique, on peut en conclure que, comme je tenterai de le montrer, l’ethos de Richard s’en trouve modifié, le commentaire critique subissant une légère inflexion de ton, d’ordonnancement.

Mon approche de l’ethos une fois précisée, introduisons rapidement le travail critique de Jean-Pierre Richard, qui est aussi une posture philosophique et sensible vis-à-vis des textes littéraires. Successeur des initiateurs de la critique de la conscience que sont Marcel Raymond et Albert Béguin, et héritier de la pensée de Bachelard, Jean-Pierre Richard s’intéresse comme eux au sujet qui s’invente et se fabrique en écrivant, et voit dans l’œuvre la construction d’un rapport au monde. Le critique doit porter une attention particulière au sujet phénoménologique rédigeant l’œuvre qu’il a sous les yeux et, à la manière dont la phénoménologie est descriptive, c’est d’une expérience dont rendent compte l’œuvre et le texte critique : « À l’origine du monde selon Hugo, et à la source aussi de sa propre création verbale [… le] motif chaotique affecte indifféremment ici toutes les régions de l’expérience [3] ».

L’objet phénoménologique est l’« imagination créatrice », ce que l’on cherche à atteindre c’est « l’intentionnalité poétique » à travers la saisie d’un état, puisque « la rêverie a été un état réel [4] », donc un phénomène. Richard se livre ainsi, à l’orée de Pêle-mêle, à une rêverie qui exceptionnellement porte non pas sur une œuvre, mais sur un objet récurrent de rêverie littéraire, « un chant d’oiseau » :

on engageait un Spartiate à écouter un homme qui imitait le rossignol. « J’ai entendu, dit-il, le rossignol lui-même.» Mot définitif, formule décisive : après cela tout est dit, le modèle disqualifie toutes ses « imitations » possibles (passées, présentes, à venir). À quoi bon reprendre ou même commenter ce chant puisque la réalité en a, une fois pour toutes, eu lieu ? Un lieu où on ne saurait accéder que par le souvenir, ou la fiction. Si le rossignol a un jour chanté, sur le mode si péremptoire que nous lui connaissons, il ne pourrait aujourd’hui que se répéter, comme un écho ou un reflet, une ombre dans notre caverne. Tout commentaire, tout discours critique tenté à son sujet se trouverait dès l’abord voué au bavardage, ou à la présomption.
Et pourtant, au mépris d’une moralité si laconienne, toute notre culture n’a cessé, depuis les Grecs et jusqu’à nous, d’entendre, et réentendre, dans les forêts, mais aussi dans les textes, les poèmes, quelquefois dans les orchestres, la voix de multiples rossignols. Cet oiseau est même devenu comme le prince de la nuit chantante […]. Sa force, c’est d’avoir été érigé très tôt, et jusqu’au stéréotype, en associé favori de la passion amoureuse : écho de celle-ci (il lui invente une voix), et complice secret aussi [5].

Cette introduction constate que le chant de l’oiseau traverse toute l’histoire littéraire, discrète justification du texte qui suivra, et amorce subtilement (évocation de la caverne platonicienne, jeu avec les topoï) un questionnement littéraire et philosophique sur le déjà-dit, le redire et la mimèsis ; ce qui fait de ce texte une rêverie amassée et ramassée, une traversée heureuse de la littérature, sous l’étiquette de l’« apprenti ornithologue », croisant notamment Plutarque, Ronsard, Alain, mais aussi Olivier Messiaen.

Selon la perspective qui nous intéresse, il est possible d’aborder la pratique de Jean-Pierre Richard en se représentant le critique évoluer spatialement parmi les œuvres : « Terrains de lecture : ce sont d’abord les œuvres mêmes où s’avance le lecteur, avec le sol de leurs mots, leurs reliefs de style, l’espace verbal en somme, qu’elles ouvrent à la marche mentale [6] » ; celui-ci est alors « retenu » par certaines d’entre elles : ce qui provoque l’étude critique, ce sont « les hasards d’une rencontre, la montée d’une curiosité ou d’une émotion au cours d’un épisode de lecture [7] », et l’on peut alors lire le critique habiter cette rêverie de manière bien particulière, en la revivant dans un commentaire littéraire souvent qualifié de « parcours », devenir rêveur à son tour.

Mais cette vie dans les œuvres se double d’une vie par les œuvres. Car sous couvert d’une approche compréhensive des textes, et parce que celle-ci prend moins la forme de la coïncidence de deux consciences (que l’on trouve par exemple chez Jacques Rivière ou Georges Poulet) que d’une participation toute sensible à l’œuvre, c’est bien sûr son propre rapport au monde que Richard explore à travers la littérature et sa récriture. Habiter le monde par les textes c’est se pencher sur le « paysage » d’un auteur, constitué par la « singularité [d’une] grille sensorielle [8] » ; et, quand l’influence de la psychanalyse se fait plus forte – car Richard s’approprie non seulement la littérature mais des systèmes lui permettant de la penser, si tant est que l’on imprime à ceux-ci une torsion toute personnelle –, ce paysage est plus profondément encore « lié […] au radical organique d’une humeur, il est ce qui se voit, s’entend, se touche, se flaire, se mange, s’excrète, se pénètre, ou pénètre : le débouché et l’aboutissement, le lieu de pratique aussi, ou d’autodécouverte d’une libido complexe et singulière [9]. »

Les cinq sens sont donc convoqués tour à tour selon l’œuvre abordée, qui nous font à la fois vivre l’expérience (consciente ou inconsciente du corps) offerte par l’œuvre – c’est justement cette dimension sensible qui permet que l’auteur, le critique et leur lecteurs partagent une même expérience –, et en comprendre les enjeux.

Il faudrait évoquer de façon parallèle la destinée des parfums et des odeurs [chez Pascal Quignard] : car c’est en elles [Richard insiste ici sur les odeurs] cette fois l’espace, et non, ou non plus seulement le temps, qui négativise intérieurement l’expérience, tout en constituant le plus vif de sa qualité ou de son charme. L’odeur, on le sait bien, est foncièrement inconsistante, évasive […], mais elle se perd pour Quignard aussi bien en son amont qu’en son aval [10].

Analyse profonde d’une expérience que chacun peut reconnaître de l’évanescence de l’odeur, qu’a introduit plus tôt dans le commentaire l’objet qui échappe, et le trouble (dépressif) qui peut s’ensuivre ; mais aussi belle intuition quant à l’œuvre de Quignard, concernant la question de l’origine.


Vivre corps et mots : la vie du sujet dans la littérature


On assiste ici à un processus de subjectivation par l’expérience des textes, mais Jean-Pierre Richard ne se perd pas dans la sensation de l’autre (comme les critiques de la conscience peuvent se perdre dans la conscience d’autrui). Et si ce (re)vécu de l’expérience n’est donc pas de l’ordre de l’identification empathique, il n’est pas non plus de l’ordre de la projection : les thèmes et obsessions [11] d’un auteur qu’il aborde jamais ne sont ceux du critique. Ceci est bien sûr à nuancer puisque sans doute ces thèmes et obsessions ont-ils attiré Richard, parce qu’ils entraient en résonance avec sa propre idiosyncrasie, et sans aucun doute sont-ils un moment siens puisqu’il en fait l’expérience. Mais il me semble que ce qui se produit, c’est une forme d’apposition de subjectivité à l’œuvre, par un processus proche de ce que Barthes évoquait en écrivant : « Mais la valeur, selon le mot d’ordre nietzschéen, prolonge la question : qu’est-ce que c’est pour moi ? […] qu’est-ce que ce texte, pour moi, qui le lis ? [12] ». L’expérience de l’« index obsessionnel » d’un auteur est médiatisée par une écriture qui, sans avoir la froideur du diagnostic, permet d’établir une certaine distance vis-à-vis de ce vécu auquel le critique se montre sensible ; il demeure sujet à part entière de cette expérience sensible, qui ne tire sa pleine richesse que du fait qu’elle est écrite (récrite).

Dans la poésie de Jacques Réda, l’herbe est ainsi effleurée en même temps qu’approchée dans ses multiples possibilités ; Richard nous invite notamment à

noter, à partir de la scène archaïque de violence, la greffe possible de deux lignes de rêverie qui vont traverser de la manière la plus heureuse toute la poésie de Réda : la ferroviaire, la musicale.
La ferroviaire : […] Rapport, souvent, de voisinage [avec l’herbe] : à la sortie des grandes gares, par exemple, « aux naissances des bifurcations les remblais enserrent des tranchées, où protestent de la mauvaise herbe et des buissons sournois. Les atteindre doit être pénible, qui plus est défendu, mais un homme obscurci parfois réussit à s’y étendre, dormant les yeux ouverts tandis que cogne à n’en plus finir la fonte contre l’acier des ressorts ». Se redisent dans ces lignes admirables la violence originelle, l’acuité du rêve éveillé, le climat d’étrangeté et de transgression lié à tout ce qui pousse et ce qui roule : la tonalité s’en fait entendre, en particulier, à travers les maillons d’une chaîne phonicosémique en r et s, qui d’enserrent à sournois, obscurci, réussit, ressort, avec mainte autre liaison plus éparse, va de la constriction jusqu’à la secousse finale et révoltée. […] On ne peut alors s’empêcher de penser qu’une association si fréquente se fonde sur quelque parenté qualitative entre les deux éléments liés : rail et herbe, ou plus précisément brin d’herbe, ne relèvent-ils pas ici d’une même essence commune, ou combinaison d’essences, qui regrouperait, par exemple, linéarité, raideur, acuité, brio ? Réda pourra évoquer ainsi « épis de rails » et « taillis d’aiguillages ». C’est peut-être d’ailleurs ce mot même d’aiguillages qui provoque la rêverie la plus active : car il amène avec le motif de la pointe, celui de la bifurcation, celui encore de l’entrelacement multiple et dynamique, de quoi réunir rails et herbes sous un seul schème d’euphorie complexe, le réseau.
Quant à la musique, il s’agit bien sûr de la musique de jazz dont Jacques Réda est aujourd’hui l’un des plus aigus commentateurs. Or sa base rythmique, il nous le suggère du moins non sans nuances, a quelque chose à voir peut-être avec le bruit des trains emportés sur les rails et le souffle à vapeur des anciennes locomotives […] Telle serait l’origine du swing, dont Réda a donné plusieurs définitions mémorables […] : une sorte de syncope allègre, d’apnée, où la respiration se creuserait par une pratique contrôlée de son arrêt, ou du moins de son retard, une alternance inégale, mais régulière, de tension et de détente qui se transmettrait depuis les boogies et les vapeurs ferroviaires, – et derrière elle, peut-être à partir d’une respiration humaine, pulsionnelle – jusqu’au développement musical, et au mouvement d’une certaine poésie [13].

Ce si long extrait pour relever, au passage, le rôle de matrice de ce « paysage » conféré à la scène primitive – présence ténue de la psychanalyse –, la présence du sensible, qui fait office de lien, de liant au « paysage » décrit, l’importance en particulier de la vue, du toucher et de l’ouïe, qui donnent accès à l’image [14]. Pour illustrer surtout la « sensualité figurale des mots [15] », que l’on peut ici observer selon deux modalités : avec le développement sur le swing, on admire la tentative de description palpable d’une expérience sonore et musicale (qui se base, une fois de plus, sur l’observation du corps, de la respiration), et d’autre part, à partir de la citation, l’analyse stylistique qui, loin d’être repoussée comme elle peut l’être par les critiques, notamment à cause du lourd héritage du lansonisme, se révèle être le vecteur de la transmission de l’expérience littéraire. Je relève à ce propos un phénomène particulier de mimétisme critique, sur lequel je n’aurai malheureusement pas le temps de revenir ici : le phénomène vécu est mimé par l’écriture ; de fait, la suite de la phrase commentant l’allitération en r et s est elle-même marquée par une allitération en r et s, et la description des saccades du swing est elle-même haletante, où de brèves précisions cohabitent avec des éléments de phrase plus longs et plus liés.

Les possibilités ouvertes par un objet de rêverie sont donc indissolublement évocatoires et physiques, parce que, l’extrait ci-dessus vient de nous le montrer, matière et matière des mots, mouvement et mouvement des mots, rythme du corps et rythme des mots font cause commune. Il existe entre l’expérience littéraire, la « chair du monde » et l’écriture critique un véritable continuum [16], c’est bien un continuisme qui est revendiqué lorsque Richard écrit qu’

il n’y pas, ou plus, lieu […] d’opposer pouvoir des affections, forces des choses et « fortune des mots » – trouvaille de Michel Chaillou. Toutes ces énergies obéissent aux mêmes figures récurrentes, elles font bien partie du même monde, celui que traverse en tous sens notre lecture [17].


Écrire corps et mots


Le devenir de Richard se joue donc dans la littérature, et par elle ; je voudrais maintenant aborder quelques modalités de l’attitude toute littéraire du critique face à la littérature.


Un vocabulaire propre au critique : celui de l’autre


S’il existe quelque chose comme un « vécu-écrit [18] », cette attitude consiste d’abord à vivre avec le vocabulaire de l’auteur lu et à le faire sien. Ce vocabulaire n’est ni complètement montré comme extrinsèque ni entièrement naturalisé par l’écriture critique : il s’opère comme une fusion entre le vocabulaire immédiat (l’œuvre) et le vécu second (le commentaire). Cette fusion se traduit dans le texte par un mélange typographique dans le traitement des mots cruciaux : visuellement présents par l’italique (qui peut être aujourd’hui aussi bien une marque d’insistance – sur un point nodal, un thème – qu’une citation [19]), les guillemets, une incise ; ou bien fondus dans le texte, mais toujours incorporés à la phrase qui continue de se dérouler. Richard fait ainsi usage, dans l’étude sur Hugo déjà citée, d’un vocabulaire spécifiquement hugolien dont la prolifération, au premier abord, engendre un flou quant à savoir s’il s’agit encore des mots de l’auteur, de ceux du critique, ou des thèmes dégagés que ces mots cristallisent. Relevons pêle-mêle, en conservant les différences typographiques : « désordre », « immense », « rêverie », « masque », « indistinct », « extase », « spectre », « renversé », etc., mots qui sont à la fois des citations affichées ou masquées dans le texte de Richard, et ce qui devient des thèmes, aussitôt qu’ils sont soulignés. Ainsi, le vocabulaire richardien qui nous interpelle ici devient reprise d’un vocabulaire antérieur, et cet usage critique se justifie non seulement parce qu’il cristallise une écriture, un style, mais aussi parce qu’il transmet directement un vécu, permet de le vivre de la même manière que son auteur, si l’on fait fonctionner ce vocabulaire autrement (ce qui rend compte du caractère métaphorique et périphrastique de l’écriture critique).

En somme, Richard se forge à partir de l’œuvre un vocabulaire singulier, chargé de valeurs personnelles [20], qui qualifie sa relation à l’œuvre, et dont l’usage est semblable à l’impression que peut nous laisser la lecture de certains passages de Barthes (même si, par contre, il y a un vocabulaire proprement barthésien) ; ceci implique une double nature de ce vocabulaire : concept, outil du critique pour penser-dire l’œuvre et, issu de celle-ci, cristalliseur et témoin de la « pensée-mot » (l’expression est justement de Barthes) de l’auteur abordé. L’homogénéité observée dans l’insertion (et donc l’appropriation) de ce vocabulaire confère une cohérence au parcours du critique, de même que les thèmes, qui ne sont jamais traités théoriquement, ni évacués au fur et à mesure qu’abordés, mais parsèment l’œuvre critique et la structurent, comme ils organisent et régissent le monde de l’œuvre et le sujet-auteur qui l’habite.


Un fonctionnement critique propre : celui de l’œuvre commentée


Faire siennes la langue et l’œuvre (la langue de l’œuvre également) suppose une cohérence plus générale, celle du commentaire critique dans son ensemble. Et ici encore, la subjectivité de Richard vis-à-vis de chaque œuvre s’exprime, sur ce point encore l’ethos du critique est palpable. De fait, la forme du commentaire relève d’une logique propre à Jean-Pierre Richard, adaptée à l’œuvre (adaptée de l’œuvre) dont on sent qu’elle a modelé son cheminement (selon la structure perçue du paysage de l’auteur).

Ainsi, au cours de l’étude sur Jacques Réda, Richard commente un passage – le plaisir de la citation, souvent substantielle, est encore une manière de vivre avec les livres, dans le moment même de l’écriture – puis conclut et rebondit :

Splendide final, où le plus étroit de l’immanence herbeuse rouvre à ses deux dépassements fondateurs, espace et temps. […] Autour de quelques brins d’herbe rien ne demeure, alors, que la plénitude du tout.
Suivons encore l’appel des signifiants […]. Fraîcheur, éclatement : signes d’une nouveauté sans âge. Par les plus petits interstices l’herbe, « éternellement si spontanée », pousse, se pousse vers le haut ; son surgissement têtu semble promouvoir une sorte de naissance continue, – de quoi satisfaire, là encore, chez son spectateur, à quelques tendances très profondes du désir.
Mais quel désir ? Toujours le même très probablement, celui qui mettait en place déjà les éléments clefs de notre scène originelle. Avec une différence cependant : vers l’objet désirable l’herbe avait été jusqu’ici le site successif (je parle de la succession, fort cursive, de ce commentaire, non d’une quelconque suite chronologique, ni même logique dans les textes évoqués), elle avait donc été le lieu, e quelque sorte intervallaire, ou frontalier, limbaire, d’une introduction déviée, d’un refoulement, d’une expression plus ou moins directe, d’un soutien, d’une incorporation. La voici devenue l’espace d’une manifestation pleine et immédiate, l’endroit où va se produire, au prix certes d’un léger détour littéral et rhétorique, une pure épiphanie du féminin [21].

Le final d’un texte ouvre au critique une perspective nouvelle et fait prendre au commentaire une direction particulière, dont Richard rappelle qu’elle en est pourtant le prolongement, la suite nécessaire ; et, d’autre part, cette provocation de l’œuvre donne lieu à un fort discret métadiscours sur l’agencement de ce même commentaire, qui montre ce qu’une suite logique, la structure de ce commentaire modestement présentée comme « cursive », peut devoir au seul parcours critique.

L’ordonnancement du commentaire est ré-ordonnancement de l’œuvre et semble répondre à quelque chose d’incitatif, voire de pressant :

 

il me semble aujourd’hui que les choses montrent, mais ne disent pas. Commenter, dès lors, ce ne serait pas trahir leur laconisme, vouloir dire à leur place ce qu’elles auraient pour vertu, peut-être pour bonheur de taire, ce serait, au contraire, continuer à montrer, montrer une deuxième fois ce qu’elles montrent, mais le faire un peu différemment, dans un autre ordre, le re-montrer (?) – surtout pas le démontrer [22]

« Les choses », le monde, ce sont ici encore des œuvres littéraires. Des questions profondes sont posées par l’œuvre, mais repérées par Richard seul. Souvent ponctué d’interrogatives ou d’expressions comme « il faudrait évoquer », « il faut noter » ou encore « il faudrait pouvoir parler de », le texte critique offre le spectacle d’une pensée, il indique et représente le devenir d’un homme de lettres dans son écrit, dramatisation d’un vivre-dans-et-par-les-textes.

Cet aller-retour entre dictée de l’œuvre qui pousse à un ordre particulier du commentaire, et mouvement plus personnel imprimant quelques torsions à ce dernier, se fait d’autant plus sentir dans ce passage resserré :

Venons-en maintenant au livre qui avait précédé celui-ci – mouvement d’une chronologie peu orthodoxe, mais à laquelle [Gérard] Macé nous avait lui-même d’une certaine façon conviés lorsqu’il évoquait la manière dont « une rime en prose appelle d’autres mots, formant un récit qui commence peut-être par la fin [23] »…

 

Se recommandant de son auteur, et rejetant ironiquement des lois qui régiraient lecture et critique, voici une belle prise de position vis-à-vis de la littérature : affirmation d’une liberté de circulation parmi l’œuvre d’un même auteur, voici encore l’apposition d’une subjectivité sur un tout qui lui est indépendant.


Maintenir le tâtonnement


Cette revendication, et l’exercice en général de cette liberté, n’ont cependant, rien du caractère violent que revêtit selon Barthes l’assertion : Richard se justifie, par honnêteté intellectuelle, via l’œuvre qu’il commente, et dans l’exercice critique en général il adopte une attitude profondément interrogative.

Car la progression du commentaire – toujours extrêmement articulé, les marques logiques en sont apparentes, quand elles ne sont pas, comme on l’a vu, soulignées – est volontairement frappée du sceau du tâtonnement, dont la figure la plus marquante serait la conglobation. La conglobation a ceci de formidable qu’elle relève à la fois du tâtonnement, de l’effet de progression et/ou de force par accumulation, et finalement de la volonté de ne rien retrancher à la recherche du critique. Cette apparente hésitation du critique devient un trait définitoire de sa pratique littéraire : si les fragments accumulés forment un tout, c’est finalement que le vacillement est maintenu – mimant celui de la lecture critique – et contrôlé, donnant à l’énumération un rythme tout singulier. Par sa récurrence l’accumulation s’avère être le parti pris de la « constellation » pour restituer la complexité d’une expérience : le choix de ne pas amputer une réalité bigarrée, dont par conséquent la description doit être foisonnante. Cette vision d’ensemble que permettent ces accumulations rend compte de la revendication d’un ne pas vouloir choisir, à la manière de ce que Richard reconnait dans une des « postures » de Roland Barthes comme un « ne pas vouloir saisir », qu’il relève encore comme « le paradoxe aimé de l’à la fois ». Voici une indécision qui conduit à l’affirmation (de soi), une indécision volontaire « où s’affirme seulement un choix de ne pas choisir [24] » ; « seulement », mais c’est déjà beaucoup quand on cherche à décrire la manière dont le critique habite son texte et celui qu’il commente.

Le trait de Twombly, à la fois suave et volatil, n’existe donc que par son échec à rien tracer. Il met en évidence un trouble de la main, lié lui-même à l’intuition d’une inconsistance de l’espace. D’où une adresse de la maladresse, une façon, sans doute assez retorse, de rater la ligne, de la jeter négligemment sur le papier, ou de la laisser faire à son gré, l’amener à se traîner, à baver, ou se tacher, la maculature elle-même apparaissant alors comme un mode positif d’intervention. Et cela sous la poussée d’une chair peu conventionnelle, qui griffe, qui affleure, qui secrète [25].

 

Twombly comme objet pour Barthes, Barthes comme objet pour Richard, sont l’occasion d’une conglobation multiforme qui ne limite donc pas le pluriel mais bien plutôt : le bariole.


« D’où la double question, un peu brutale, et même grossière, à se poser maintenant : qu’est-ce qui cherche, en toute conscience désormais, à se réaliser et à s’écrire dans les textes [critiques] ? [26] »


Twombly comme objet pour Barthes, Barthes comme objet pour Richard : ce qui est en jeu ici, c’est bien la main qui trace sur la feuille.

Par cette mise en abîme d’un travail critique de Richard sur le critique Barthes pris comme objet littéraire – les commentaires des œuvres de Réda, de Gérard Macé, ou même, bien plus tôt, de Sainte-Beuve [27] relèvent du même mécanisme – on se rend bien compte que l’attitude interrogative de Richard vis-à-vis du monde des livres se porte logiquement vers le phénomène de l’écriture lui-même.

On retrouve ici le continuum évoqué plus haut, ce lien indéfectible entre le monde, les mots et le moi, et quand Richard traite des œuvres de Pierre Michon, cette homogénéité s’étend de surcroît du monde à l’art : il existe ainsi chez Goya une « déteinte [picturale et métaphorique] qui va gagner tout l’espace du monde – et de l’art [28] », permettant l’entremêlement de questions esthétiques et existentielles (pour ne pas dire métaphysiques, puisque régulièrement Richard en repousse et le nom et l’idée). L’étude des Vies minuscules est sur ce point représentative : ces vies sont des objets d’analyse en soi, Richard les observe en phénoménologue – parfois presque en anthropologue. Toutes ces observations de multiples « vies minuscules » aboutissent surtout à l’observation d’un unique « devenir-écrivain » du narrateur autour duquel ont un temps gravité les personnages qui les ont vécues :

Mais l’on voit que tous les personnages de Michon deviennent des êtres romanesques, c’est-à-dire en vérité des personnages, par l’épreuve, positive ou négative, assumée ou insurgée (souvent assumée et insurgée) qu’ils font du langage, de l’art, de la beauté. C’est évidemment l’un des traits qui les rendent si aptes à problématiser la figure de l’écrivain lui-même, leur scribe et leur témoin [29].

 

Vivre avec la littérature suppose pour Richard de se demander ce qu’est la création, et en particulier la création littéraire : qu’est-ce qu’écrire pour l’auteur étudié ?

Dans le cas intéressant de Pierre Michon, on assiste à un emboîtement des démarches : Michon passe par la peinture pour comprendre son activité d’écrivain, et Richard passe par Michon pour poser la question de l’écriture.

Qu’est-ce, dans la réalité, qu’écrire, comment échapper aux divers silences ou ratages de la vie, comment accéder à l’essence et la pratique, salvatrices peut-être, d’un devenir-écrivain ? Or c’est là une question à laquelle l’écriture ne peut pas répondre d’elle-même. Il lui faut pour cela emprunter une sorte de détour. [… Il] fallait s’adresser à un peintre légendairement problématique, extrême, excessif, qui semblait avoir porté jusqu’à son terme une certaine idée moderne de son art. Avec Goya, peintre de la noirceur et de la chute, avec Watteau, et la folie cachée de ses toiles érotiques, avec même Piero [della Francesca], artiste de l’intraitable et de la cécité, ce sera donc Vincent Van Gogh, vu en sa période méridionale. Car c’est là, sans doute, qu’on peut l’apercevoir au plus pur de sa culmination et au plus secret, aussi, de sa genèse. Devant les bocks du Café de la Gare ou les melons de la route de Tarascon, Michon croit assister, chez Van Gogh, au mystère d’un certain devenir-peintre : passage, accès, auquel il n’avait, dans son champ propre, jamais cessé lui-même de rêver [30].

 

À travers le travail de sa propre écriture (ce tâtonnement lui-même recherché) et ce questionnement de l’écriture, on voit émerger ici l’écrivain qu’est Jean-Pierre Richard, qui s’interroge non seulement sur ce que c’est que peindre ou écrire, mais aussi sur ce que c’est qu’être peintre ou écrivain, et posant par-là un regard sur lui-même-écrivant, attitude particulière de l’homme de lettres face à son activité.


Création d’un savoir critique


Puisqu’il s’agit ici de parler de « devenirs de l’homme de lettres », je voudrais revenir enfin sur le tournant opéré avec la fin de son exercice d’enseignant par Jean-Pierre Richard dont j’ai parlé plus haut. Car, si je n’ai pas voulu en faire le moteur de mon analyse parce qu’elle ne bouleversait pas profondément l’ethos richardien, il y a lieu cependant de relever une certaine évolution de ce « je » qui écrit et s’écrit en même temps.

Cette évolution est tangible notamment dans certaines prises de liberté qui pourraient s’apparenter à de petites violences interprétatives, mais qui sont toujours indirectement justifiées par l’œuvre commentée elle-même ; dans une légèreté de ton qui peut avoisiner la nonchalance ; dans une place parfois plus importante faite à la psychanalyse ; et l’on a par moments l’impression que le ton était paradoxalement moins docte lorsque c’était le professeur qui écrivait. Mais si les questions posées par l’œuvre se font plus rhétoriques – indiquant moins une recherche qu’introduisant une assertion – elles n’en restent pas moins le signe d’un parcours. Si elle avait toujours été assumée, par la nature même de l’écriture richardienne, voici en somme les signes plus visibles d’une subjectivité plus marquée, et le témoignage d’un plaisir du texte; et demeurent surtout la conscience de la nature et de l’avancée du commentaire, et la sensibilité à la langue de chaque auteur.

On pourrait aisément dire que l’écrivain-professeur, ou le professeur-critique, devient écrivain-critique, mais il me semble que l’ethos de Richard a toujours pu renvoyer à cette dernière figure.

Commentant la description par Quignard du jouet adoré qu’était l’Habergeiss, toupie en bois d’ébène, « genre particulier de bourdon », Richard écrit :

Pourquoi ne pas prendre cet objet où tout tourne et se retourne en tout – guêpe, oiseau, viole, mais aussi, allusivement peut-être, orgue, mélancolie, pèlerinage –, ce jouet dans lequel la terreur, encore, devient musique et danse, comme une figure, assez satisfaisante, du roman ? Tant mieux si ses sauts et bonds, passés, présents et à venir, ont bousculé aussi, et finalement, ce commentaire [31].

 

Beaucoup de l’ethos de Richard se retrouve ici : un style marqué par la cohésion du littéral, de l’évocatoire et du métaphorique, une avancée par touches successives, une rêverie sur un objet (à partir d’une présence littéraire de celui-ci), l’approche indirecte d’une question littéraire, un regard sur son propre cheminement, la figure du retournement – qui a bouleversé le commentaire, mais a peut-être « bousculé » le lecteur-critique, qui s’est laissé faire et s’en montre conscient.

La critique de Jean-Pierre Richard me semble ainsi produire un certain type de savoir, moins scientifique (modelé par la distance universitaire) qu’en prise directe avec le monde, c’est-à-dire ici via la littérature, par elle et en elle – sans que se pose la question des à-côtés de la critique que sont le biographique, la génétique ou d’autres formes d’érudition, ni celle d’un savoir transcendant à la littérature, d’une métaphysique héritée de celle-ci. Le devenir-critique passe par un rapport littéraire à la littérature, un rapport littéraire au monde et une manière, littéraire une fois de plus, d’écrire et se dire dans cette pratique.

L’œuvre est le déclencheur et demeure le medium de ce savoir particulier engendré par le commentaire : le critique écrit dans la marge, cette marge lui laisse (presque) toute latitude, et la manière d’habiter cette espace, d’exploiter cette marge de manœuvre nous offre une image du critique, de sa pensée. L’écriture critique reste cependant tangente au déjà-écrit de la littérature. Elle rend compte de la complexité du monde et de modalités d’être au monde à partir d’objets imposants, apparemment suffisants à eux-mêmes. Jean-Pierre Richard évolue ainsi au sein d’une œuvre en en tirant la moelle qui lui paraît substantifique, et il évolue par son œuvre, grâce à la capacité qu’il a de s’y réfléchir ; existentiellement investi, c’est donc un rapport doublement intime qu’il entretient avec la littérature. L’écriture critique est ce qui permet que ce savoir si particulier de la littérature soit transmis au lecteur, grâce à une communauté de sentir, de savoir et de langage(s).

Évoquant la démarche de Michon dans sa recherche du devenir-écrivain, Richard parle avec justesse et beauté de la naissance d’un « savoir latéral ».


NOTES

[1] Anne Herschberg-Pierrot, « Du style en critique », Critique n°752-753 : Du style !, LXVI, Paris, Minuit, janvier-février 2010, p. 86. Cet article a permis de confirmer, et d’exprimer bien mieux que moi, l’intérêt et les hypothèses suscités par ma lecture de Richard.

[2] Jean-Pierre Richard, lors d’un échange avec Antoine Perraud pour l’émission Tire ta langue, diffusée sur France Culture le 5 septembre 2010.

[3] Jean-Pierre Richard, « Hugo », Études sur le romantisme, Paris, Seuil, 1970, p.189.

[4] On trouve dans la Poétique de la rêverie de Gaston Bachelard, dont ces expressions sont tirées, une belle introduction à cette approche, que Richard fait sienne.

[5] Jean-Pierre Richard, « Un chant d’oiseau », Pêle-mêle, Lagrasse, Verdier, 2010, p. 9.

[6] Jean-Pierre Richard, Avant-propos aux Terrains de lecture, Paris, Gallimard, 1996, p. 9.

[7] Jean-Pierre Richard, Avant-propos à L’État des choses, Études sur huit écrivains d’aujourd’hui, Paris, Gallimard, 1990 ; je souligne.

[8] Jean-Pierre Richard, Microlectures, Paris, Seuil, 1979, p. 7.

[9] Ibid., p. 8.
L’organique et l’inconscient : à propos de Michon, Richard parle de « l’appui thymique d’une voix » (Chemins de Michon, Lagrasse, Verdier, 2008, p. 84) ; on ne peut pas ne pas songer à ce que dit Barthes du style et qu’il faut étendre à l’œuvre littéraire en général - ce que lui-même fera plus tard, en mettant au centre de sa réflexion moins l’Écriture que le Corps : le style, donc, « est la voix décorative d’une chair inconnue et secrète ; il fonctionne à la façon d’une Nécessité, comme si, dans cette espèce de poussée florale, le style n’était qu’une métamorphose aveugle et obstinée, partie d’un infra-langage qui s’élabore à la limite de la chair et du monde. Le style est proprement un phénomène d’ordre germinatif, il est la transformation d’une Humeur. [… Il] plonge dans le souvenir clos de la personne, il compose son opacité à partir d’une certaine expérience de la matière ; le style n’est jamais que métaphore, c’est-à-dire équation entre l’intention littéraire et la structure charnelle de l’auteur (il faut se souvenir que la structure est le dépôt d’une durée) », Le Degré zéro de l’écriture [1953], Paris, Seuil, 1972, p. 16-17.

[10] Jean-Pierre Richard, « Sensation, dépression, écriture », in L’État des choses, op. cit., p. 45.

[11] Un thème est pour Jean-Pierre Richard « un principe concret d’organisation, un schème ou un objet fixes, autour duquel aurait tendance à se constituer et à se déployer un monde », L’Univers imaginaire de Mallarmé, Paris, Seuil, 1961, p. 24.

[12] Roland Barthes, « Les sorties du texte » [1973], Œuvres complètes IV, Paris, Seuil, 2002, p. 374. Barthes y commente Le Gros orteil de Georges Bataille.

[13] Jean-Pierre Richard, « Scènes d’herbe », L’État des choses, op. cit., p. 18-20.

[14] « L’image poétique nouvelle – une simple image ! – devient ainsi, bien simplement, une origine absolue, une origine de conscience. Dans les heures de grandes trouvailles, une image poétique peut être le germe d’un monde, le germe d’un univers imaginé devant la rêverie d’un poète », Gaston Bachelard, La Poétique de la rêverie [1960], Paris, PUF, 2005, p. 1.

[15] Anne Herschberg-Pierrot, op. cit., p. 83.

[16] Celui-ci constitue je crois l’une des marques de la grande influence de la pensée de Merleau-Ponty sur la pratique critique de Jean-Pierre Richard.

[17] Jean-Pierre Richard, Avant-propos à L’État des choses, op. cit., p. 9-10.

[18] Jean-Pierre Richard, Avant-propos aux Terrains de lecture., op. cit., p. 10.

[19] « Un autre morphème de valeur, c’est parfois l’italique ou le guillemet ; le guillemet sert à encadrer le code (à dénaturaliser, à démystifier le mot), l’italique, au contraire, est la trace d’une pression subjective qui est imposée au mot, d’une insistance qui se substitue à sa consistance sémantique (les mots en italique sont très nombreux chez Nietzsche). » Roland Barthes, « Les sorties du texte », op. cit., p. 375.

[20] Résultat de cette « pression subjective » imprimée aux « vocables » (note 19).

[21] Jean-Pierre Richard, « Scènes d’herbe », op. cit., p. 25-26.

[22] Jean-Pierre Richard, Avant-propos à L’État des choses, op. cit., p. 10.

[23] Jean-Pierre Richard, « Manteaux et tombeaux », L’État des choses, op. cit., p. 68.

[24] Jean-Pierre Richard, Roland Barthes, dernier paysage, Lagrasse, Verdier, 2006, p. 9, 21 puis 32. Barthes commente l’avant-dernière photo de L’Empire des signes : « Aucun vouloir-saisir et cependant aucune oblation » (Roland Barthes, L’Empire des signes [1970], Œuvres complètes III, p. 436).

[25] Ibid., p. 19. Je note au passage l’harmonie récurrente du rythme ternaire, parfois redoublé, de ces énumérations.

[26] Ibid., p. 32-33.

[27] Une lecture de « Sainte-Beuve et l’objet littéraire », dernière des Études sur le romantisme serait intéressante quant à un métadiscours sur l’activité et le langage critiques, je ne peux qu’y renvoyer le lecteur.

[28] «  Devenir Goya », Chemins de Michon, op. cit., p.64.

[29] Jean-Pierre Richard, « Servitude et grandeur du minuscule », L’État des choses, op. cit., p. 94.

[30] Jean-Pierre Richard, « Arles 1888-1889 », Chemins de Michon, op. cit., p. 76-77 ; à propos de Vincent Van Gogh, traité à travers une Vie de Joseph Roulin.

[31] Jean-Pierre Richard, « Sensation, dépression, écriture », op. cit., p. 66.


POUR CITER CET ARTICLE

Cécile Raulet, « Devenirs critiques de Jean-Pierre Richard », Les Cahiers du Ceracc, nº 6, juillet 2013 [en ligne]. URL : http://www.cahiers-ceracc.fr/raulet.html [Site consulté le : DATE].

Dans l’œuvre qui déclenche et demeure le medium du commentaire Jean-Pierre Richard se réfléchit, et produit une connaissance de soi et du monde marquée par une posture philosophique et sensible affirmée, un travail de la langue, un parcours culturel inédit. Ainsi une subjectivité s’appose-t-elle à une œuvre qui participe en même temps d’une subjectivation du critique ; afin de rendre compte de ce phénomène bifrons, Cécile Raulet tente de décrire un ethos richardien : une évolution (dynamique, spatiale et temporelle) dans la littérature et une expérience par la littérature, indissociables de leur écriture.

Ethos de Jean-Pierre Richard : récit, description et partage d’une expérience (critique)
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Vivre corps et mots : la vie du sujet dans la littérature
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Dans la continuité d’un mémoire de Master sur le même thème, Cécile Raulet prépare actuellement une thèse sur « l’ethos du critique littéraire » à l’ EHESS sous la direction de Philippe Roger. Permettant de penser une conjonction du contenu et de la formulation, l’ethos considéré dans une acception élargie – ce dont vient le discours et ce qui en naît –, s’avère être une notion unifiante pour décrire ce qui transparaît du critique dans et par son texte, la résolution équilibrée et singulière d’une tension entre reprise, variation et invention, entre discours savant et création littéraire. Ce sont principalement l’écriture (imaginaire de soi et rapport au langage), les effets critiques, de Roland Barthes et de Jean-Pierre Richard qui sont au centre de cette étude, qui abordera au besoin les pratiques critiques de Sainte-Beuve, Félix Fénéon, André Gide, Albert Thibaudet.














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