Le double jeu de l’écrivain-professeur, nouvelle figure de la littérature contemporaine

- Charles COUSTILLE -



Roland Barthes, en 1974, au cours d’un entretien sur l’avenir de la littérature, constatait :

Le grand phénomène sociologique de la caste des écrivains, c’est l’arrivée massive de professeurs. Il se crée par conséquent une nouvelle catégorie de production, à la fois littéraire et intellectuelle, et qui implique à la fois, en général, des positions d’engagement politique et d’engagement idéologique, mais en même temps une pratique d’écriture [1].

En 2012, on ne peut que lui donner raison : innombrables sont les écrivains enseignant dans le secondaire ou à l’université. Pour ne citer que quelques noms français, dans le désordre, on pourrait penser à Christian Prigent, Jean-Michel Maulpoix, Annie Ernaux, Jean-Benoît Puech, Chantal Thomas, Sylvie Germain, Jean-Christophe Bailly, Philippe Le Guillou, Hélène Cixous, Tiphaine Samoyault, Noël Herpe, Thomas Clerc ou encore Pierre Pachet et Yves Bonnefoy qui seront au centre de cette étude. Il est en effet une nouvelle sorte de lettré – dont Barthes fut le précurseur – oscillant entre les fonctions de professeur et d’écrivain, entre le scientifique et le littéraire, entre le transmetteur et le producteur. Ce lettré est aussi un nouveau type de personnage intervenant dans des récits autobiographiques [2] ou dans des fictions [3] ; mais avant d’éventuellement étudier les mises en récit, il faut cerner les attributs de cette nouvelle « caste » bien réelle.

Certes, depuis le Moyen Âge, les fonctions d’universitaire et d’écrivain n’ont jamais été entièrement dissociées [4], mais Barthes met en avant la nouveauté de la situation socio-économique en France (au « sociologique » de Barthes, on peut ajouter l’adjectif « économique », car la jonction de ces deux activités peut tout de suite être interprétée comme une manière indirecte de salarier l’activité d’écrivain). Cette nouvelle donne résulte probablement de trois phénomènes conjoints : il y eut d’abord un net élargissement du recrutement du personnel universitaire après la deuxième guerre mondiale et après 1968 [5]. Ensuite, la fonction professorale, discréditée par les avant-gardes du début du siècle, a été revalorisée par la conviction que la littérature était à la fois porteuse de savoirs et moyen de leur subversion ; elle méritait donc d’être apprise et enseignée en tant que complément ou substitut à la science [6]. Enfin, dans les études littéraires, après 1960, la méthode universitaire (qui suivait jusque-là les principes d’histoire littéraire de G. Lanson [7]) a perdu un peu de son inflexibilité. En réagissant très violemment au Sur Racine de Barthes, en dénonçant sa prétendue insuffisance méthodologique, en se plaignant d’une effraction dans le domaine réservé de la Sorbonne, Raymond Picard a rendu publique l’existence d’une brèche dans laquelle se sont engouffrés théoriciens, critiques, et autres amateurs de nouvelles manières d’appréhender la littérature [8]. Soulagés par le déclin des méthodes « scientifiques », certains écrivains ont aussi profité de l’occasion pour se mettre à enseigner. Dans les milieux littéraires, au fil du temps, la rumeur de l’existence de cette opportunité a enflé, jusqu’à devenir une évidence aujourd’hui.

On ne pourra ici creuser plus profondément cette histoire de la « fonction-écrivain » dans sa proximité avec le professorat [9]. Il ne s’agit pas non plus, comme pourrait le faire la sociologie de la littérature, de construire un « idéal-type » de l’écrivain-professeur, une moyenne arithmétique des individus d’un groupe social – ensemble trop hétérogène d’ailleurs pour tolérer un tel calcul et pour que les données ne réduisent pas comme peau de chagrin au fur et à mesure que l’on supprime les « valeurs aberrantes ». Cette étude s’intéressera uniquement à la « nouvelle pratique d’écriture », dont parle Barthes, induite par l’émergence de la figure du professeur-écrivain. Cette pratique, loin d’être unidimensionnelle, est toujours déjà une double-pratique : contrairement aux écrits de l’intellectuel, du lettré, de l’érudit, elle suppose deux registres, deux manières, deux modes d’écriture, peut-être deux styles : le premier irait vers la science, la recherche de la vérité, il serait « contraint », tandis que la pratique littéraire offrirait une totale liberté. Soit une irrémédiable tension entre, d’un côté, l’apparente chape institutionnelle de l’université, et de l’autre, la création libre revendiquée par l’écrivain.

Alors, que faire du trait d’union un peu inélégant entre écrivain et professeur ? La rigidité réputée de l’écriture académique ne risque-t-elle pas d’entrer en conflit avec l’inspiration que l’on prête aux auteurs de littérature ? Quel rôle joue, est amené à jouer, jouera, l’écrivain qui est aussi professeur, le professeur qui est aussi écrivain ? A-t-on des raisons d’espérer un renouveau de la transmission et de la création littéraire, stimulé par l’association de ces fonctions auparavant dissociées ?

Pour commencer à répondre à ces questions, on partira de deux types d’attitude aisément repérables dans le panorama de la littérature contemporaine. Dans le premier camp, on prône la conciliation et on l’exprime par un discours soulignant la complémentarité, la solidarité entre les textes littéraires et les textes universitaires : éloge de l’érudition, de la critique, de l’histoire et du savoir littéraire. Tel est par exemple le propos d’Yves Bonnefoy qui appelle à une certaine complicité entre la poésie et l’université. Mais en ce cas, ce lien ne risquerait-il pas de faire émerger un terrain littéraire autonome, auto-suffisant, une littérature de lettrés à l’attention d’autres lettrés ?

A l’inverse, on observe une attitude anti-universitaire chez certains écrivains-professeurs qui cherchent à dissocier les deux sphères dans le soupçon que l’écriture académique contamine l’inspiration littéraire. Pierre Pachet est peut-être de ceux-là, lui qui oppose les possibilités de dispersion offertes par la littérature à la « morne hypocrisie académique, partagée entre l’arrivisme et une profonde indifférence pour les sujets traités [10]. » En ce cas, n’y aurait-il pas un danger pour les institutions d’enseignement de la littérature ?

Il ne s’agit pas ici d’étudier le poète Bonnefoy ou l’essayiste Pachet, mais simplement d’observer quelques-uns de leurs textes afin de comprendre le sens profond de telles manifestations. Pour Y. Bonnefoy, on partira de deux discours aux titres construits en chiasme : « Poésie et Université » (prononcé à Fribourg en 1984) et « Université et Poésie » (prononcé à Sienne en 2004) [11], réponses à deux invitations faites à un poète, également professeur au Collège de France [12], dont on pressent qu’il sera en mesure d’ouvrir l’institution sur le monde littéraire (reste à en connaître les modalités d’accès). De P. Pachet, on lira diverses chroniques de la vie universitaire extraites de Loin de Paris [13], et quelques textes universitaires liés à ces chroniques, dans l’idée que ceux-ci pourraient servir d’addenda, ou peut-être de contrepoints, aux descriptions littéraires de la (pénible ?) vie universitaire.

Autant le dire immédiatement : les attitudes repérables à l’œil nu seront fortement éprouvées par la lecture des textes. On trouvera des éléments conciliateurs là où l’on voyait une opposition de principe, et inversement. Toutefois, dans les deux cas, interpréter des textes littéraires et universitaires, sur l’université et contre l’université, c’est aussi se donner une chance de réfléchir – toujours pour reprendre Barthes – aux nouvelles « positions d’engagement politique » résultant du cumul des fonctions d’écrivain et de professeur.


Dialogue et subordination


Recevant le titre de Doctor honoris causa de l’Université de Sienne en 2004, Y. Bonnefoy a prononcé une conférence dans laquelle il voulait « tenter de mieux comprendre aujourd’hui, le rapport de la poésie et de l’Université ; et ce que ce rapport peut avoir de bénéfique et même de créateur. » (UP, p. 35)

Avant de tisser concrètement ce lien, il s’attaque à la « mode post-romantique » (UP, p. 26) de dédain des institutions d’enseignement qui, selon lui, a prévalu en France aux XIXe et XXe siècles : en identifiant la poésie à la révolte, plusieurs générations de poètes se sont formées en dehors de l’université, et pour ainsi dire, contre l’université. Ce mépris, commun à Nerval, Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Laforgue, Apollinaire, Breton, aux surréalistes (et aux avant-gardes en général), à Valéry ou à Jouve, viendrait de l’association de la poésie à la « liberté libre », par opposition à une université où l’impulsion vitale des textes serait systématiquement tuée par des professeurs passéistes ne cherchant qu’à archiver au nom d’une stérile érudition. Contre un tel manichéisme, Y. Bonnefoy souhaite que :

[…] l’alliance de fait de la poésie et de l’Université se resserre d’une façon qui serait alors son second degré : le niveau où il ne s’agirait plus seulement de l’emploi par la poésie des enseignements d’un professeur mais d’un véritable échange entre l’un et l’autre. (UP, p. 36)

L’intention première est donc bien de lever les entraves qui pourraient empêcher le dialogue, de prôner une conciliation et « des débats fructueux » entre universitaires et poètes. En insistant sur le double besoin d’une « clarification réciproque » et d’une « réciprocité d’exigence », l’auteur rejoint les principes de la diskursethik de J. Harbermas [14]. Dans cet esprit, il s’agira, en deuxième lieu, de définir de manière programmatique les modalités de ces échanges à venir.

Y. Bonnefoy explicite sa manière de concevoir la poésie. Il souhaite d’abord en entériner l’unité : « Certes, la poésie est une et indivisible. » (UP, p. 20) Quels que soient les traditions et les pays, elle consiste à clarifier les incertitudes inhérentes à la parole par un travail sur le langage. En outre, le poète a une tâche primordiale : celle de saisir la présence de l’être et des choses, de saisir la finitude qui fait leur grandeur, aux antipodes de ce qu’il appelle la « pensée conceptuelle », qui substitue au plein de la réalité affective une représentation partielle, incomplète, arbitraire du monde [15] : la poésie s’oppose pour lui aux pensées vouées à la généralité, aux Idées platoniciennes (d’où le titre de l’un de ses premiers recueils : Anti-Platon); elle oppose le hic et nunc aux considérations abstraites et coupées de la réalité toute puissante du temps. Passé le rappel de ces principes, le poète-professeur insiste sur le rôle politique, organique, vital, du genre. La poésie ? « Rien n’est plus important, je n’hésite pas à le dire, pour l’avenir de la société », répond Y. Bonnefoy; elle est le seul moyen « pour s’ouvrir de façon crédible à une expérience de transcendance » ; or, toujours selon Y. Bonnefoy, cette volonté de toucher l’absolu est consubstantielle à l’homme. Mais il distingue alors deux types de transcendance : l’une est néfaste, c’est la transcendance des divinités bon marché, des idéologies, des dogmes politiques qui ont mené à la Seconde Guerre mondiale ; l’autre, la véritable et bonne transcendance, a la poésie comme voie d’accès privilégiée, elle est « mémoire de la présence ». (UP, p.46)

Or, dans les deux textes de Bonnefoy, l’université, au lieu d’être prise pour une aide, est perçue comme un obstacle à cette expérience poétique. En effet, c’est un des lieux voués – si ce n’est le lieu – aux concepts, toujours trop larges, et aux théories trop généreuses ou générales. Ces manières de faire constituent un véritable danger pour la poésie car elles risquent de détourner vers la mauvaise, vers la fausse transcendance. Y. Bonnefoy incrimine les méthodes de lecture du siècle passé qui n’ont pas su remplir leur mission : les universitaires auraient développé des lectures savantes ayant en commun de « négliger par méthode ce que le poète tentait de faire et qu’ils comprenaient mal » et ont, en lieu et place, « observé le texte à tous autres niveaux possibles ». Ces analystes cherchent dans le poème une « structure œdipienne » ou « le jeu des formes grammaticales », « comme s’ils étaient la fin propre de l’écriture, le mode primordial de sa raison d’être ». Pour le poète et conférencier, la situation est préoccupante :

Aujourd’hui trop savantes sont les méthodes de l’analyse et trop nombreux aussi les points de vue méthodologiques et les hypothèses qui les commandent pour que l’interprétation s’achève jamais, – et donc pour que cet instant survienne où quelqu’un apparu dans l’œuvre, interpellerait le lecteur. (PU, p. 210-211)

Face à cette dispersion, il faudrait repartir à la recherche de  l’intention du poète et, éventuellement, en faire émerger la grandeur. Y. Bonnefoy avait lui-même essayé d’ « illuminer » la silhouette de Rimbaud dans son ouvrage publié dans la collection « Écrivains de toujours », sans appareil critique ronflant, sans esbroufe de scientificité [16] – effort prolongé pendant presque cinquante ans, comme en témoigne le récent recueil, Notre besoin de Rimbaud, dont l’auteur avertit immédiatement qu’il n’est pas un « livre sur Rimbaud » mais un ouvrage qui cherche à faire entendre la voix du poète [17].

L’université, quant à elle, devrait se contenter de ce qu’elle sait faire le mieux, c’est-à-dire des classifications, afin notamment de séparer les poètes des écrivains, afin de différencier ceux qui « cherchent à retranscrire toutes les expériences » (les écrivains) et ceux qui visent à « mettre en question la signification comme telle » (les poètes). Cette dichotomie entre écrivains et poètes est en réalité une hiérarchie : selon Y. Bonnefoy, le poète aveuglé par les illusions de son intuition et inattentif aux phénomènes réels deviendrait « simple écrivain ». Pour éviter cela, l’université doit également alimenter des réservoirs dans lesquels viendront puiser ceux qui veulent écrire de la poésie. En prenant l’exemple du Dictionnaire des mythologies [18] dont il a dirigé l’édition, le conférencier indique avoir voulu lutter contre une conception naïve des mythes et avoir œuvré pour un ressaisissement poétique qui soit fondé sur un matériau solide (UP, p. 42-43). Autrement dit, « l’Université » se retrouve au service du poète dont la tâche, présentée comme vitale pour toute la société, l’autorise, par son importance même, à cette position de surplomb.

Si Y. Bonnefoy prend la parole en poète (« à travers moi c’est à la poésie comme telle que vous avez voulu faire signe » [PU, p. 203]), il utilise dans ses deux discours nombre de procédés rhétoriques. Codifiés dans l’université médiévale, ils donnent une tonalité s’inscrivant dans la tradition de la cérémonie de remise du titre de Doctor honoris causa (à Sienne), ou dans celui du Dies Academicus [19]. Dans l’« Adresse [20] » de Sienne, la captatio benevolentiae, occasion de flatter l’auditoire, est particulièrement éloquente : « Vous êtes les héritiers de Dante, puis de Pétrarque et en amont de ceux-ci de la civilisation romaine et latine » (UP, p. 19). Par la suite, les formules de modestie académiques ne manquent pas : l’orateur suit le topos de l’excusatio propter infirmitatem en confessant quelques erreurs de jeunesse, comme celle de n’avoir pas poursuivi plus tôt l’objectif de « la connaissance appliquée » (UP, p.30). Passé l’exorde, l’argumentation se déploie dans une narratio classique ; l’argument est exposé de manière claire, vraisemblable et brève, presque syllogistique : « la poésie est une et indivisible », « la poésie est l’avenir de la société », « le professeur doit aider le poète afin d’aider la société ». La confirmatio est aisément repérable grâce au découpage en cinq parties centrales qui viennent étayer le propos : à chaque partie, une idée critique ou historique qui reprend et complète l’argument central. Quant à l’épilogue, on en a déjà parlé, il s’agit de dégager des pistes pour le futur de l’université, (intrinsèquement lié au futur de la poésie). Bonnefoy joue de ce format et, privés de disputatio, les universitaires doivent écouter sans droit de réponse. Si l’on laisse de côté les propositions de politique institutionnelle du conférencier, ces derniers auraient probablement aimé contester certaines des réinterprétations d’œuvres canoniques ; notamment, lorsqu’il prend François Villon à la lettre, l’oppose aux poètes « post-romantiques » qui ont ignoré l’université, et affirme : « Villon, il l’a dit clairement, regrettait d’avoir “fui” l’école » (UP, p. 27) [21]. Par ailleurs, compte tenu des positions précédemment invoquées, comment être convaincu de sa sincérité lorsqu’il avance que « Rimbaud aurait bénéficié de la lecture de quelques-uns des grands savants, philosophes ou phénoménologues » (UP, p. 37) ?

Plus éloquentes que poétiques, les propositions d’Y. Bonnefoy pour la poésie, l’université et la société ne s’accompagnent pas d’une quelconque dimension « performative », ce qui est assez cohérent si l’on considère comme lui que l’université est le terrain du « conceptuel », de l’« abstrait ». À ce titre, notons que la majuscule qui orne continuellement le mot d’« Université » dans la retranscription des discours tend effectivement à l’élever au rang de notion ou de concept, l‘éloigne de toute pratique, tend à la faire apparaître comme une entité quasi-intemporelle (comme on écrirait l’Eglise ou l’Etat). Autrement dit, Y. Bonnefoy joue d’une manière très ambiguë de sa double fonction de poète et de professeur : son habile maniement des formes universitaires ne doit pas masquer la virulence de son attaque contre une institution dont il souhaiterait limiter l’ambition. Ainsi renoue-t-il avec l’attitude « post-romantique » dénoncée dans son texte même.


Opposition et conversation


Parallèlement, en prêtant attention aux prises de parti de Pierre Pachet sur l’université, on remarque d’abord une certaine hostilité envers l’institution. À cet égard, Loin de Paris regroupe différentes descriptions particulièrement acerbes de situations universitaires – en premier lieu, le moment du colloque, vécu par l’auteur comme un pur et simple emprisonnement. À Lille :

Il faut aller s’enfermer dans un préfabriqué pas chauffé (c’est un samedi matin, pas de personnel) de l’université où le café sera pris debout dans de démocratiques gobelets en polystyrène […] (LP, p. 157)

Ou à Clermont-Ferrand :

[…] enfermés dans la salle, interdits de promenade, chacun doit se défendre comme il peut contre les seaux de paroles qu’on lui déverse dessus, paroles sans interstices entre elles, prononcées sur le même ton morne, uniformément autoritaire et chaste. Avec nos yeux et nos oreilles dépourvus de paupières ou d’opercules, nous voilà soumis, sauf si par accident un mot réoriente, donne, ouvre. Soumis à une sorte de torture douce, consentie. (LP, p. 93)

Faut-il associer de tels écrits à la posture ou « mode post-romantique » évoquée précédemment ? A minima, on remarquera que cette parole universitaire, pénible logorrhée, sonne creux, sonne faux aux oreilles de l’écrivain. En plus, l’adjectif « chaste » sous-tend une double accusation : impuissante et simulant la religiosité, l’université n’aurait pas vraiment rompu avec le modèle monacal qui la précédait, avec l’époque de Bernard de Clairvaux. Mais bien loin de l’intransigeance des « intellectuels » du Moyen Âge, l’universitaire moderne ne serait qu’un personnage ridicule dont le langage outrageusement compliqué ne reflèterait qu’une profonde inélégance, un défaut de simplicité, une absence de légèreté caractéristique.

Dans des versions différentes, le personnage de l’universitaire pédant, ou cuistre, existe chez Rabelais, Nabokov, ou chez Proust. Le professeur Brichot, dans À la recherche du temps perdu, incarne, par exemple, le stéréotype  du sorbonnard « cocardier », incapable de s’adapter aux codes de la mondanité salonnière [22]. Les universitaires de P. Pachet se distinguent surtout par leur incapacité à trouver une langue qui leur serait propre, un style qui déjouerait les pièges de la norme académique, une manière de s’exprimer qui s’affranchirait des références stéréotypées : « cet orateur au visage juvénile et gonflé semble trimballer sur son dos une pleine besace de termes cuistres et de références terrifiantes/terrifiées à Lacan, Foucault, Bataille, Agamben … » (LP, p. 93) Mal dégrossie, la « parole universitaire » oublie de chercher la singularité (l’« individuel » dirait sûrement P. Pachet) et se rend ainsi inaudible. Mais ne serait-ce pas alors reprocher aux universitaires de ne pas être des écrivains ? Peut-être serait-il plus juste de lire ici une manière de se démarquer des structures universitaires afin de poser l’activité d’écrivain aux antipodes de certaines formes ampoulées de la recherche. En décrivant un personnage d’universitaire terroriste et terrorisé, gluant et englué, P. Pachet ne crée pas seulement un effet comique : il adopte un ton simple et fin, contrastant avec la lourdeur du jargon intellectuel. Cela ne l’empêche pas de mobiliser des références savantes, mais au lieu d’être assenées de manière autoritaire, elles sont dispersées dans le récit, elles restent suggestives. Par exemple, la mention du nom de J. Lacan dans la liste des auteurs « terrifiants » ne doit pas tromper : au même titre que Lacan était capable de bon et mauvais goût [23], il y a de bonnes et de mauvaises manières d’invoquer son nom, subtilement ou grossièrement. Et la disqualification d’une certaine parole universitaire peut même être comprise comme une allusion à la pensée du psychanalyste. Dans sa théorie des discours construite au cours du séminaire de 1969-1970, Lacan considère que le « discours universitaire » implique de la continuité, de la communication, de la connivence bâtie sur des compromis, dans ce qui pourrait, au contraire, rester de l’ordre du discontinu et de l’émotionnel. Pour affiner la théorie lacanienne, on pourrait dire que le « discours anti-universitaire » est un discours affectif, anti-argumentatif, discontinu, en opposition à toute posture d’autorité fondée sur un titre. Ce discours anti-universitaire de réaction ne serait pas le discours de l’hystérique (situé à l’opposé du discours universitaire dans le « schéma des quatre discours [24] »), mais celui de l’écrivain rejetant le langage académique.

Écrivain, P. Pachet l’est indéniablement. Mais puisque les citations précédentes sont extraites de récits autobiographiques, il a bien fallu qu’il participe à ces colloques, autrement dit, qu’il fasse lui-même œuvre d’universitaire. L’auteur ne s’en cache pas : nombre de ses communications sont retranscrites intégralement sur son site internet [25], d’où la relative simplicité de faire coïncider les chroniques de Pachet-écrivain avec les interventions de Pachet-universitaire. Entre 2001 et 2005 (années des chroniques), il y en eut plusieurs, en France et à l’étranger, sur les récits de rêve (au Canada), sur les journaux intimes (à Clermont-Ferrand) et au moins trois consacrées à Witold Gombrowicz (en Pologne, à Lille et à Paris). Le discours anti-universitaire est omniprésent chez cet écrivain polonais, expert en professeurs loufoques, en maîtres-assistants serviles, en situations pédagogiques humiliantes. Dans Ferdydurke, le personnel de l’école ressemble à une pieuvre dont les tentacules enferment le narrateur, infantilisé, paralysé par des adultes ennemis de toute forme d’intelligence : « Ce corps enseignant recruté par nos soins est extrêmement pénible et désagréable. Vous ne trouverez pas ici un seul corps agréable, ce ne sont que des corps pédagogiques [...]. Ce sont les cerveaux les plus solides de la capitale, aucun n’a une seule idée personnelle [26]. » Poussé jusqu’à la caricature, jusqu’au fantasmagorique, on retrouve le reproche de P. Pachet aux universitaires : le retrait du je au profit de toutes sortes de références terroristes (tel ce vieillard cherchant désespérément à émouvoir ses élèves par la beauté des vers d’un « grand poète polonais » et ne réussissant qu’à apeurer sa classe [27]).

Pourtant le titre de la présentation de P. Pachet à Lille (où l’on buvait du café dans de « démocratiques gobelets en polystyrène ») ne semble pas recourir à une quelconque mise en abîme, et, a priori, respecte les conventions académiques : « Gombrowicz et l’explication [28] ». Mais s’introduit tout de même un jeu sur le niveau de lecture, sur la possibilité d’une lecture au carré : non pas « Explication de Gombrowicz » mais « Explication du rapport de Gombrowicz à l’explication ». Et en effet, P. Pachet suit le mouvement de l’écrivain polonais qui oscille entre la racine et le radical de sa propre écriture diariste, entre le choix d’une attitude et son contre-pied immédiat. Fin lecteur de journaux intimes (il a écrit Les Baromètres de l’âme, étude sur les origines du genre, de Casanova à Delacroix [29]), il entreprend de restituer les conversations internes de l’auteur de Ferdydurke à grand renfort de citations extraites du Journal. Ainsi, il relève un encouragement à « se défendre en se définissant sans trêve », auquel répond, trois pages plus loin, l’injonction inverse : « continuellement esquiver ses propres définitions ». Chez Gombrowicz, il s’agit avant tout de « désamorcer les attitudes [30] ». D’une manière assez comparable à celle dont le sérieux apparent de la « communication » est désamorcé par la chronique qui lui est liée.

Dans un autre texte sur l’auteur, « Le jugement littéraire de Witold Gombrowicz sur Bruno Schulz [31]», Pierre Pachet détaille sa méthode de lecture en introduction : « la littérature, les œuvres de pensée et de recherche ne peuvent être envisagées avec justesse que si l’on prend en compte la nécessité de les juger, de les différencier, de les confronter – même si ce jugement reste instable, discutable. » Notons que, dans cette phrase, sont rangées côte à côté la « littérature » et « les œuvres de pensée et de recherche » ; elles ne sont plus opposées comme chez Y. Bonnefoy. Alors que ce dernier assignait à l’université un rôle de classification, P. Pachet prend un tout autre parti : « les œuvres visent et s’offrent au jugement, elles ne sont pas des objets inertes destinés à être classés et décrits par des connaisseurs ou des savants – elles provoquent le jugement, et en particulier se provoquent les unes les autres [32]. » La tâche est alors de « revenir sur ces jugements, tout en les prenant en compte » et non d’établir de complexes typologies séparant poète, écrivain, essayiste, universitaire, etc. À la fin de son texte, à rebours de l’histoire de la littérature, P. Pachet rehausse la valeur de l’œuvre de Schulz en la considérant indépendamment de sa controverse avec Gombrowicz, des jugements de l’un sur l’autre ; à l’inverse d’Y. Bonnefoy qui souhaitait que l’on se concentre sur l’intention de l’auteur, il « donne raison au livre contre son auteur, aux idées du livre contre les idées de l’auteur ». Et, ajoute-t-il, « la relation de la valeur entre les œuvres artistiques ne peut se conformer aux règles d’une simple hiérarchisation, d’un classement scolaire soumis à la loi du succès [33]. »

L'hostilité au « scolaire » avait déjà été affichée dans L’Œuvre des jours ; la liberté propre au genre de l’essai le différenciait des genres universitaires :

[…] se confier à l’essai (au lieu de se lancer dans le champ de l’article, de l’étude, du traité, de la dissertation, – de la thèse) conserve vivante l’origine et comme la vitalité initiale de l’idée : la conversation comme milieu où tout finit par s’engloutir a donné naissance à l’idée, la conversation peut à tout moment venir l’interrompre en faisant surgir une suggestion nouvelle et qui ne peut attendre [34] .

Or ce mode conversationnel est précisément au cœur des articles de P. Pachet : Gombrowicz converse avec lui-même, Gombrowicz converse avec Schulz, Pachet converse avec Gombrowicz (et Schulz), Pachet converse avec lui-même (délibère intérieurement de la forme et de la méthode qui seront les plus aptes à ne pas empêcher le surgissement des pensées). Conserver vivante l’origine de l’idée ? Tel est également le mouvement des deux textes sur l’écrivain polonais : le premier est « désir de lumière », le second « confrontation dramatique » ; ils forgent la conviction selon laquelle cet auteur ne peut être lu qu’avec un certain strabisme dont l’angle est constamment révisé. La conversation dévie légèrement, change de sujet, de registre, tourne autour d’une conclusion.

En outre, les livres que l’on qualifierait volontiers de « littéraires » ne fuient pas l’idée ; ils restent attachés à une proposition, à une thèse (au sens étymologique) : Sans amour, sous-titré « récit », tient plutôt de la variation autour d’un motif. Mais comment lire les derniers mots du livre (qui figuraient déjà parmi les premiers) – « l’amour n’est qu’une possibilité [35] » – autrement que comme le parachèvement d’une démonstration, comme le discret mais visible C.Q.F.D. d’une affirmation toujours latente ?

Si l’on accepte de concevoir l’essai d’après la définition de L’Œuvre des jours, on perçoit plus facilement les exigences d’un état d’esprit que les composantes d’un genre littéraire : une ouverture à la conversation sous toutes ses formes (tant que la forme ne se fige pas). Se dégage finalement un penchant essayiste parcourant l’œuvre entière plutôt qu’une nette séparation entre récits, essais, articles, thèses, etc. Aussi peut-on finalement prendre acte d’un véritable prolongement entre les textes supposés littéraires de P. Pachet et ceux censés être universitaires, même quand le texte littéraire sert à fustiger l’université. Car après tout, rappelons-le, parfois, même à l’université, « par accident un mot réoriente, donne, ouvre ». Il y avait donc un espoir. Ou au moins la possibilité d’un bon travail universitaire. Et c’est sûrement celui qui se rapproche du travail littéraire, du penchant essayiste, d’un maintien de l’esprit conversationnel dans la construction d’un savoir ; celui qui, du moins, ne fuit pas la littérature, ne se pose pas comme un envers de cette dernière.

Derrière leur apparente opposition frontale, les deux mondes se confondent : la langue universitaire et la langue littéraire se croisent, s’entremêlent. La frustration, réelle ou jouée, lors du travail universitaire oblige l’écrivain à radicaliser son travail littéraire, et pourtant, dans un même mouvement, il cherche un rapport juste à la connaissance. C’est dans cette double contrainte que les frontières entre les genres se troublent et que l’écrivain-universitaire part à la conquête de nouvelles formes d’écriture forcément hybrides. Quitte à complexifier encore un peu la théorie lacanienne des discours, il serait donc certainement plus juste de parler pour P. Pachet d’un « discours contre-universitaire » que d’un « discours anti-universitaire », en soulignant le double sens de contre : à la fois, à l’opposé et au plus près, comme on s’appuie contre un mur ou contre quelqu’un. P. Pachet écrit contre mais aussi grâce à l’université.


Rupture par la continuité


Pour en revenir au constat de Roland Barthes : « l’arrivée massive de professeurs […] implique des positions d’engagement politique et d’engagement idéologique ». A partir des textes précédemment étudiés, j’aimerais suggérer qu’un premier parti pourrait consister à établir des points de continuité entre l’université et la littérature, comme le laisse penser l’exemple de Pierre Pachet.

Nous partions de deux attitudes résolument opposées : une attitude de conciliation, d’appel au dialogue (Y. Bonnefoy) et une volonté de confrontation, de critique de l’université par la littérature (P. Pachet). Alors que la première étude nous a finalement amené à renvoyer universitaires et écrivains dos à dos, la seconde a permis d’établir un prolongement entre texte littéraire et texte universitaire, ou au moins, d’entrevoir des fissures, une perméabilité des deux régimes d’écriture. Le discours de conciliation a mené à une dissociation textuelle. Le discours d’opposition a établi une continuité textuelle. Les appels habermassiens au dialogue, à la collaboration, au débat, risquent de maintenir la distance entre les deux mondes considérés d’emblée comme étanches l’un à l’autre. En revanche, le mode conflictuel et critique force à réagir, à réfléchir aux différences et similarités [36]. Or l’écriture rapproche indéniablement les littéraires et universitaires qui en font pratique quotidienne. La séparation des deux mondes n’a alors rien d’évident : un penchant essayiste, une certaine poétique de l’université (envers de la rhétorique universitaire dont on a aperçu certaines formes mais dont il resterait à établir le traité) constituent, par exemple, des entre-deux – loin de tout impressionnisme, ils travaillent les formes universitaires tout en construisant un savoir. Il ne s’agit pas de prôner le conflit à tout prix ; les universitaires ne devraient pas commencer à écrire des œuvres d’imagination, ni les écrivains chercher à établir des faits scientifiques ; mais peut-être qu’à travers la figure encore incertaine du professeur-écrivain, des glissements, des continuités, des points de jonction pourraient être trouvés, fût-ce au prix de relations conflictuelles. Appréhender au mieux ces contacts ne peut se faire qu’en pensant avec des outils littéraires aux structures qui constituent et règlent nos pratiques universitaires.


NOTES

[1] Roland Barthes, « Où/ou va la littérature ? » [1974], Œuvres Complètes IV, Paris, Seuil, 2002, p. 556.

[2] Pascal Quignard raconte le chemin qui l’a conduit à renoncer à une thèse de philosophie sous la direction d’Emmanuel Levinas pour se consacrer à la littérature (Boutès, Paris, Galilée, 2008, p. 83).

[3] Par exemple, dans nombre de romans de D. Lodge, de V. Nabokov, d’A. S. Byatt ou chez W .G. Sebald.

[4] Sur la difficulté à séparer « universitaires et littérateurs », voir Jacques Le Goff, Les intellectuels au Moyen Âge, Paris, Seuil, 1985, p. V.

[5] Pour des données précises, on se reportera au chapitre de Jean-Claude Passeron « L’Université mise à la question : changement de décor ou changement de cap ? » in Jacques Verger (dir.), Histoire des universités en France, Paris, Privat, 1986, p. 367-420.

[6] De manière radicale, Barthes écrit dans Leçon [1977], Œuvres complètes IV, Paris, Seuil, 2002, p. 434 : « La science est grossière, la vie subtile, et c’est pour corriger cette distance que la littérature nous importe. »

[7] Voir Antoine Compagnon, La Troisième République des lettres, Paris, Seuil, 1983. Notamment la première partie.

[8] On trouvera un éclairage original de cette controverse sous la plume de René Girard qui, prenant le parti de Barthes, stigmatise l’archaïsme de R. Picard (et de l’histoire littéraire telle qu’elle s’enseigne en Sorbonne) in « Réflexions critiques sur les recherches littéraires », Modern Language Notes, Vol. 81, N° 3, The Johns Hopkins University Press, Mai 1966, p. 307-324.

[9] Le syntagme de « professeur-écrivain » recouvre plusieurs unités. Pour le premier terme, il faudrait dissocier les différents types d’enseignants ; pour le deuxième, les genres de prédilection des auteurs. On pourrait donc imaginer un tableau à double entrée qui esquisserait une typologie des œuvres associées à des fonctions :
poète romancier dramaturge essayiste … enseignant du primaire du secondaire à l’université chercheur…
Plutôt que de se risquer à un tel panorama, on partira seulement de deux auteurs qui ne peuvent être réunis que par la diamétrale opposition de leurs attitudes (non par le genre de leurs œuvres, ou par la similarité de leurs statuts).

[10] Pierre Pachet, L’Œuvre des jours, Paris, Circé, 1999, p. 74. Même s’il écrit ensuite que diversion et spécialisation n’ont jamais été que deux pôles de sa pensée, l’arbitraire des spécialisations académiques est crûment dénoncé.

[11] Yves Bonnefoy, « L’Université et la poésie » [2004], La Communauté des critiques, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2010 ; dorénavant abrégé en « UP ». Et « La Poésie et l’Université » [1984], Entretiens sur la poésie (1972-1990), Paris, Mercure de France, 1990 ; dorénavant abrégé en « PU ».

[12] Yves Bonnefoy a été professeur à Vincennes en 1969-1970, à Aix et à Strasbourg, en Suisse et aux États-Unis, et bien sûr, au Collège de France où il a occupé la « Chaire d'Études comparées de la fonction poétique » de 1981 à 1993.

[13] Pierre Pachet a enseigné, entres autres, à Clermont-Ferrand et à l’université de Paris VII. Il anime aujourd’hui un séminaire de « Critique sentimentale » à l’EHESS. Loin de Paris (Paris, Denoël, 2006) sera abrégé en « LP ».

[14] Voir Jürgen Habermas, De l’éthique de la discussion, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1992.

[15] Voir, par exemple, Entretiens sur la poésie (1972-1990), op.cit., p.21-22.

[16] Yves Bonnefoy, Rimbaud par lui-même, Paris, Seuil, coll. « Écrivains de toujours », 1961. L’ouvrage commence ainsi : « Pour comprendre Rimbaud lisons Rimbaud, désirons séparer sa voix de tant d’autres voix qui se sont mêlées à elle. […] Je propose de retrouver une voix, de déchiffrer son vouloir, de ranimer son accent, surtout. », p. 5.

[17] Yves Bonnefoy, Notre besoin de Rimbaud, Paris, Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », Paris, 2009, p. 7.

[18]  Yves Bonnefoy (dir.), Dictionnaire des mythologies et des religions des sociétés traditionnelles et du monde antique, Paris, Flammarion, 1981.

[19] Tradition du Moyen Âge consistant à fêter la naissance de l’université : disparue en France, elle perdure en Allemagne et en Suisse.

[20] Le genre de l’adresse (message d’une assemblée au monarque, d’un représentant à une entité politique supérieure) n’est pas un genre médiéval mais plutôt des XVIIe (en Angleterre) et XVIIIe (elle se diffuse en France sous l’influence de Mirabeau). Elle obéit néanmoins à des règles rhétoriques très calibrées. Voir Honoré de Mirabeau, « Adresse au roi sur le renvoi des troupes », in Orateurs de la Révolution française, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », p. 651-654.

[21] Ces vers du Testament sont-ils l’expression d’une véritable repentance : « Bien sçay, se j'eusse estudié/ Ou temps de ma jeunesse folle/ Et a bonnes meurs dedié,/ J'eusse maison et couche molle./Mais quoy ! je fuyoië l'escolle/ Comme fait le mauvaiz enffant/En escripvant cette parolle/A peu que le cueur ne me fent ! » ? De Pierre Champion à Guy Debord, la critique y a plutôt lu les espiègleries d’un étudiant rebelle dont la nostalgie prétendue n’est qu’une raillerie supplémentaire à l’encontre de ses anciens maîtres. Voir Pierre Champion, Villon, sa vie et son temps (t.2), [1913], Genève-Paris, Slatkine, 1984, p. 137 ; Boris Donné, « Une belle leçon aux enfants perdus : Debord lecteur de Villon », in Jean Dufournet (dir.), Villon entre mythe et poésie, Paris, Honoré Champion, 2011, p. 350.

[22] Marcel Proust, Du côté de chez Swann, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1987, p. 247-249. C’est ainsi que le narrateur l’introduit : « Il y avait, à ce dîner, en dehors des habitués, un professeur de la Sorbonne, Brichot, qui avait rencontré M. et Mme Verdurin aux eaux et si ses fonctions universitaires et ses travaux d’érudition n’avaient pas rendu très rares ses moments de liberté, serait volontiers venu souvent chez eux […] Swann ne put trouver les plaisanteries de Brichot que pédantesques, vulgaires et grasses à écœurer. Puis il était choqué, dans l’habitude qu’il avait des bonnes manières, par le ton rude et militaire qu’affectait, en s’adressant à chacun, l’universitaire cocardier. »

[23] On pourra se référer au texte de Pierre Pachet, « Goût et mauvais goût de Jacques Lacan », in Éric Marty (dir.), Lacan et la littérature, Paris, Manucius, Paris, 2005, p. 89-99.

[24] Voir schéma récapitulatif in Jacques Lacan, L’Envers de la psychanalyse – 1969-1970. Le séminaire, livre XVII, Paris, Seuil, 1991, p. 31.

[25] URL : http://pierrepachet.blogspot.fr/ [site consulté le 27 mars 2013]

[26] Witold Gombrowicz, Ferdydurke, traduit du polonais par G. Sédir, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1998, p. 56.

[27] Ibid., p. 65-68.

[28] In Marek Tomaszewski (dir.), Witold Gombrowicz entre l’Europe et l’Amérique, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2007, p. 150-162.

[29] Pierre Pachet, Les Baromètres de l’âme : Naissance du journal intime, Paris, Hatier, coll. « Brèves / Littératures », 1990.

[30] Ibid., p. 153. Pour les citations de Gombrowicz, voir Journal, t. 1, Paris, Gallimard, 1995, p. 203 et p. 206.

[31] In Malgorzata Smorąg-Goldberg (dir.), Gombrowicz, une gueule de classique, Paris, Institut d’études slaves, 2007, p. 95-103.

[32] Ibid., p. 95.

[33] Ibid., p. 102.

[34] Pierre Pachet, L’Œuvre des jours, op.cit., p. 100.

[35] Pierre Pachet, Sans amour, Paris, Denoël, 2011, p. 145.

[36] Gilles Deleuze, suite au refus de Sartre du Prix Nobel de littérature, lui donnait raison en choisissant la caricature du rebelle plutôt que celle du conciliateur : « Enfin quelqu’un qui n’essaie pas d’expliquer que c’est un délicieux paradoxe pour un écrivain, pour un penseur privé, d’accepter les honneurs et les représentations publiques. […] [Faut-il] devenir un vieillard adapté, une autorité spirituelle coquette ? Ou bien se vouloir le demeuré de la Libération ? Se voir académicien ou bien se rêver maquisard vénézuélien ? Qui ne voit la différence de qualité, la différence de génie, la différence vitale entre ces deux choix ou ces deux parodies ? » (Gilles Deleuze, « Il a été mon maître », Arts, 28 novembre 1964, p. 9.


POUR CITER CET ARTICLE

Charles Coustille, « Le double jeu de l’écrivain-professeur, nouvelle figure de la littérature contemporaine », Les Cahiers du Ceracc, nº 6, juillet 2013 [en ligne]. URL : http://www.cahiers-ceracc.fr/coustille.html [Site consulté le DATE].

Dans le présent article, Charles Coustille fait émerger une figure de la littérature contemporaine, « l’écrivain-professeur », et en interroge l’ethos.

Dialogue et subordination
Opposition et conversation
Rupture par la continuité

Charles Coustille est doctorant à l’EHESS, en cotutelle avec Northwestern University. Dans sa thèse, « Les antithèses : thèses d’écrivains de Charles Péguy à nos jours », il observe les écarts et les points de convergence entre l’écriture universitaire et l’écriture littéraire.











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